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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1867, tome 1.djvu/136

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SPEED. — Non, Monsieur, je ne la connais pas.

VALENTIN. — Comment ! tu la connais pour me l'avoir vu regarder, et cependant tu ne la connais pas?

SPEED. — N'a-t-elle pas l'air très-commun, Monsieur?

VALENTIN. — Mais non, mon garçon; elle est moins belle encore qu'elle n'est distinguée.

SPEED. — Quant à cela, Monsieur, je le sais parfaitement.

VALENTIN. — Quoi! qu'est-ce que tu sais ?

SPEED. — Qu'elle n'est pas aussi belle que distinguée — de vous.

VALENTIN. — Je veux dire que su beauté est exquise et sa distinction infinie.

SPEED. — C'est que l'une est en peinture et que l'autre est sans prix.

VALENTIN. — Comment en peinture? Comment sans prix?

SPEED. — Parbleu, Monsieur, elle se peint tellement pour se faire belle que pour tout homme sa beauté est sans prix.

VALENTIN. — Eh bien ! quel cas faites-vous donc de moi ? J'estime à un très-haut prix sa beauté.

SPEED. — Vous ne l'avez pas revue depuis qu'elle est défigurée ?

VALENTIN. — Depuis quand est-elle défigurée?

SPEED. — Depuis que vous l'aimez.

VALENTIN. — Je l'ai aimée dès le premier moment où je l'ai vue et je la trouve toujours belle.

SPEED. — Si vous l'aimez, vous ne pouvez la voir.

VALENTIN. — Pourquoi ?

SPEED. — Parce que l'amour est aveugle. Oh ! pourquoi n'avez-vous pas mes yeux, ou pourquoi vos yeux n'ont-ils plus la clairvoyance qu'ils avaient autrefois, alors que vous plaisantiez Messire Protée parce qu'il allait sans jarretières !

VALENTIN. — Eh bien ! qu'est-ce que je verrais maintenant si j'avais encore cette clairvoyance?

SPEED. — Votre présente folie et l'extrême laideur de votre maltresse, car si Protée, étant amoureux, n'y voyait