Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1867, tome 1.djvu/135

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VALENTIN. — Comment savez-vous donc que je suis amoureux ?

SPEED. — Parbleu, par les signes particuliers que voici : vous avez appris, à l'exemple de Messire Protée, à croiser vos bras comme un mécontent; à vous délecter d'un chant d'amour comme un rouge-gorge ; à vous promener seul comme quelqu'un qui a la peste; à soupirer comme un écolier qui a perdu son ABC; à pleurer comme une fillette qui vient d'enterrer sa grand'maman; à jeûner comme un homme qui est à la diète ; à veiller comme un homme qui a peur des voleurs ; à parler d'une voix pleurnicheuse comme un mendiant à la Toussaint. Auparavant, vous aviez coutume, lorsque vous riiez, d'éclater comme un coq, et lorsque vous vous promeniez, de marcher comme un lion ; si vous jeûniez c'était immédiatement après dîner, et si vous aviez l'air triste c'était toujours faute d'argent. Mais il a suffi d'une maîtresse pour vous métamorphoser si complètement que, lorsque je vous regarde, c'est à peine si je reconnais mon maître.

VALENTIN. — Est-ce qu'on remarque en moi tous ces signes?

SPEED. — On les remarque tous en dehors de vous.

VALENTIN. — En dehors de moi ! c'est impossible.

SPEED. — En dehors de vous, et cela est très-certain, car vous êtes si simple qu'en dehors de vous personne ne saurait l'être autant ; mais ces folies vous dominent tant au dedans qu'elles vous mettent en dehors de vous, et qu'elles transparaissent an travers de vous comme l'urine dans une fiole ; si bien que toute personne qui vous voit possède l'œil d'un médecin pour désigner votre maladie.

VALENTIN. — Mais, dis-moi, connais-tu Madame Silvia?

SPEED. — Celle que vous regardez toujours ainsi à souper?

VALENTIN. — Ah ! tu en as fait la remarque ? Elle-même précisément.