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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1867, tome 1.djvu/148

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qu'il n'est pas de malheur comparable à ses châtiments et qu'il n'est pas de joie sur terre qui vaille l'honneur d'être à son service. Maintenant, plus de causerie, si ce n'est sur l'amour ; maintenant, avec ce mot tout sec amour, je puis déjeuner, dîner, souper et dormir.

PROTÉE. — Assez ; je lis votre bonne aventure dans vos yeux. N'était-ce pas là l'idole que vous adorez ?

VALENTIN. — Elle-même. N'est-ce pas que c'est un ange du ciel ?

PROTÉE. — Non, mais c'est un modèle de beauté terrestre.

VALENTIN. — Dites divine!

PROTÉE. — Je ne veux pas la flatter.

VALENTIN. — Oh! flattez-moi, car l'amour adore les louanges.

PROTÉE. — Lorsque j'étais malade, vous me faisiez avaler des pilules amères ; je veux vous en administrer de pareilles.

VALENTIN. — Accordez-moi au moins la vérité sur elle. Si elle n'est pas divine, avouez au moins qu'elle est une principauté souveraine de toutes les créatures de la terre.

PROTÉE. — Ma maîtresse exceptée.

VALENTIN. — Cher ami, pas d'exception. Ton exception ferait à mon amour une injure exceptionnelle.

PROTÉE. — N'ai-je pas raison de préférer la mienne?

VALENTIN. — Oui, et je veux t'aider à justifier ta préférence. Ta maîtresse sera investie de ce grand honneur de porter la queue de ma dame, de peur que la vile terre n'ait la chance de voler un baiser à son vêtement, et que devenant orgueilleuse d'une si haute faveur, elle ne dédaigne de faire pousser les fleurs embaumées de l'été et ne nous condamne à perpétuité aux rigueurs de l'hiver.

PROTÉE. — Qu'est-ce à dire, Valentin? Qu'est-ce que toutes ces vantardises ?

VALENTIN. — Pardonnez-moi, Protée; toutes mes paroles ne peuvent rien pour vanter celle dont la perfection met à néant toutes les autres perfections; elle est seule de son espèce.