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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1867, tome 1.djvu/149

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PROTÉE. — Eh bien! laissez-la seule.

VALENTIN. — Pas pour le monde entier. Elle est à moi, ami, et la possession d'un tel joyau me fait aussi riche que le seraient vingt océans dont les sables seraient des perles, les flots du nectar, et les rochers de l'or pur. Pardonne-moi de ne pas songer à toi ; mais, tu le vois, mon amour me fait extravaguer. Mon stupide rival, auquel son père porte affection, uniquement à cause de ses immenses richesses, est sorti avec elle ; il me faut aller les rejoindre, car l'amour, tu le sais, est plein de jalousie.

PROTÉE. — Mais vous aime-t-elle?

VALENTIN. — Oui, et nous sommes fiancés; il y a mieux : nous avons fixé l'heure de notre mariage ainsi que le plan secret de notre évasion : escalade par sa fenêtre, échelle de corde, tous les moyens sont arrêtés et décidés pour mon bonheur. Viens avec moi dans ma chambre, mon bon Protée; tu m'aideras de tes conseils dans cette affaire.

PROTÉE. — Allez devant; je vais vous retrouver tout à l'heure ; il faut que je me rende au port pour faire débarquer quelques bagages dont j'ai un besoin absolu, puis j'irai vous rejoindre immédiatement.

VALENTIN. - Vous dépêcherez-vous?

PROTÉE. — Oui. (Valentin et Speed sortent.)

PROTÉE, seul. — De même qu'une chaleur éteint une autre chaleur et qu'un clou en chasse un autre, ainsi le souvenir de mon ancien amour est entièrement effacé par un objet plus nouveau. Est-ce sa beauté ou l'éloge de Valentin, est-ce sa vraie perfection ou ma menteuse duplicité qui font ainsi déraisonner ma raison ? Elle est belle, mais elle est belle aussi Julia que j'aime— que j'aimais, car maintenant mon amour s'est fondu, pareil à une image de cire placée près du feu, qui ne porte plus la ressemblance de la chose qu'elle était. Il me semble que mon zèle pour Valentin s'est refroidi et que je ne l'aime plus comme autrefois. C'est que j'aime trop sa dame, beaucoup trop, et voilà pourquoi je l'aime si peu, lui. Que sera donc ma passion quand je la connaîtrai mieux, puisque