164 LES GENTILSHOMMES DE VERONE.
L’HÔTELIER. — Eh bien ! qu’y a-t-il donc ? Vous voilà plus triste encore que tout à l’heure ! Que veut dire cela, jeune homme ? La musique ne vous plaît donc pas ?
JULIA. — Vous vous trompez ; c’est le musicien qui ne me plaît pas.
L’HÔTELIER. — Et pourquoi cela, mon joli garçon ?
JULIA. — Il joue faux, mon petit pèreT.
L’HÔTELIER. — Comment cela ? Ses cordes ne sont pas d’accord ?
JULIA. —• Non, et cependant il joue si faux qu’il fait grincer les cordes même de mon cœur.
L’HÔTELIER. — Vous avez l’oreille délicate.
JULIA. — Oui, et je voudrais être sourde. Cette musique me pèse sur le cœur.
L’HÔTELIER.— Je m’aperçois que vous n’aimez pas la musique.
JULIA. — Pas du tout, quand elle est si discordante.
L’HÔTELIER. — Écoutez ! quel beau changement de musique !
JULIA. — Oui, c’est dans ce changement qu’est la souffrance.
L’HÔTELIER. — Vous voudriez qu’ils jouassent toujours une seule chose ?
JULIA. — Je voudrais que le même homme jouât toujours la même chose. Mais, dites-moi, hôtelier, ce messire Protée dont nous parlons rend-il souvent visite à cette dame ?
L’HÔTELIER. — Je vous dirai ce que m’en a dit Lance, son valet, — qu’il l’aimait hors de toute mesure et de tout compte 8.
JULIA. — Où est Lance ?
L’HÔTELIER. — Il est allé chercher son chien, que, sur l’ordre de son maître, il doit conduire pour le remettre en présent à la dame.
JULIA. — Silence ! écartons-nous. La compagnie se sépare.
. PROTÉE. — Messire Thurio, so37ez sans crainte ; je plaiderai si bien en votre faveur que vous serez forcé d’avouer que ma rouerie n’a pas sa pareille.