Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1867, tome 3.djvu/418

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Viola. — Eh bien, si tu m’entreprends, je ne veux plus avoir affaire à toi. Tiens, voici pour t’amuser. (Elle lui donne une pièce d’argent.)

Le Bouffon. — Bien, puisse Jupiter t’envoyer une barbe, à son prochain approvisionnement de poils !

Viola. — Ma foi, je t’avouerai que je soupire ardemment après une barbe, quoique je ne voulusse pas me la voir pousser au menton. Ta maîtresse est-elle là dedans ?

Le Bouffon, montrant la pièce d’argent. — Est-ce qu’un couple de ces pièces n’aurait pas fait des enfants, Monsieur ?

Viola. — Oui, si on les gardait ensemble et qu’on les fit travailler ;

Le Bouffon. — Je jouerais le rôle du seigneur Pandarus de Phrygie, pour amener une Cressida à ce Troïlus, Monsieur ?

Viola. — Je vous comprends, Monsieur ; voilà qui est bien mendié.

Le Bouffon. — La chose n’est pas j’espère de grande importance, Monsieur ; je ne fais que mendier une mendiante : Cressida était une mendiante. Madame est chez elle, Monsieur. Je vais entrer leur dire d’où vous venez ; quant à ce que vous êtes et à ce que vous voulez, ce sont là des questions en dehors de mon firmament ; j’aurais dû dire de mon élément, mais le mot est suranné. (Il sort.)

Viola. — Ce gaillard-là est assez sage pour jouer le fou, et cet office exige une manière d’esprit ; il faut qu’il observe l’humeur de ceux qu’il plaisante, qu’il ait égard à la qualité des personnes et à l’occasion, que comme le faucon sauvage, il se précipite sur le premier oiseau qui tombe sous ses yeux. C’est-là un art aussi difficile que celui de la sagesse ; car la folie qui sait se montrer à propos, est raisonnable, tandis que les sages qui tombent dans la folie, jettent la défaveur sur leur esprit.

Entrent Messire TOBIE BELCH, et Messire ANDRÉ AGUECHEEK.

Messire Tobie. — Dieu vous garde, gentilhomme.