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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1869, tome 6.djvu/361

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348 LE ROI HENRI VIII.

CROMWELL. — Ô Milord, dois-je donc vous laisser ? me faut-il donc absolument abandonner un maître si bon, si noble et si loyal ? Soyez témoins, vous tous qui n’avez pas des cœurs de fer, du chagrin qu’éprouve Cromwell en quittant son Seigneur. Mes services seront au roi, mais toujours et toujours, mes prières seront à vous.

WOLSEY. — Cromwell, en recevant les coups de tous mes malheurs, je n’ai pas songé à verser une larme ; mais ton honnête véracité vient de me forcer à jouer le rôle d’une femme. Séchons nos yeux, et écoute-moi bien, Cromwell ; et lorsque je serai oublié, — comme je le serai, — et que je dormirai sous un marbre sourd et froid, et qu’il ne sera plus fait mention de moi, dis que je t’enseignai,— dis que ce Wolsey qui marcha jadis dans un chemin de gloire et qui sonda toutes les profondeurs et tous les hauts fonds de la dignité, te découvrit, au sein même de son naufrage, une voie par où tu t’élevas, un chemin droit et sûr, quoique ce chemin ton maître l’eût perdu. Médite bien ma chute et la cause de ma ruine. Cromwell, je t’en conjuré, rejette l’ambition : c’est par ce péché que tombèrent les anges ; comment, alors, l’homme qui est l’image de son créateur peut-il espérer vaincre par ce péché ? Aime-toi en dernière ligne, chéris les cœurs qui te haïssent ; les gains de la corruption ne dépassent pas ceux de l’honnêteté. Porte toujours dans ta main droite la douce paix, afin d’imposer silence aux langues envieuses. Sois juste et ne redoute rien : que tous les desseins que tu te proposeras aient pour fin le bien de ton pays, Dieu et la vérité ; alors, ô Cromwell, si tu tombes, tu tomberas martyr béni ! Sers le roi ; et maintenant je l’en prie, conduis-moi dans mes appartements : là, tu feras l’inventaire de tout ce que je possède jusqu’au dernier penny ; tout cela est au roi ; ma robe et ma foi sincère envers le ciel sont tout ce que j’ose à présent dire à moi. Ô Cromwell, Cromwell ! si j’avais seulement servi mon Dieu avec la moitié du zèle que j’ai mis à servir mon roi, il ne m’aurait pas dans ma vieillesse exposé tout nu à la rage de mes ennemis.