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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/101

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ROMÉO ET JULIETTE

pris possession ; et moi, bien que je sois vendue, je ne suis pas encore possédée : ce jour est pour moi aussi ennuyeusement long, qu’est longue la nuit qui précède une fête pour une impatiente enfant qui a de nouvelles robes et ne peut encore les porter. — Oh ! voici ma nourrice, elle m’apporte des nouvelles ; toute voix qui prononce seulement le. nom de Roméo parle avec une céleste éloquence.

Entre LA NOURRICE avec une échelle de cordes.

JULIETTE. — Eh bien, nourrice, quelles nouvelles ? Qu’est-ce que tu as là ? les cordes que Roméo t’avait ordonné d’aller chercher ?

LA NOURRICE. — Oui, oui, les cordes. (Elle les jette à terre.)

JULIETTE. — Hélas de moi ! quelles nouvelles m’apportes-tu ? Qu’est-ce qui te fait tordre ainsi les mains ?

LA NOURRICE. — Ah, malheureux jour ! il est mort, il est mort, il est mort ! Nous sommes perdues, Madame, nous sommes perdues ! — Ah, malheureux jour ! — Il est parti, il est mort, il est tué !

JULIETTE. — Le ciel peut-il être si envieux ?

LA NOURRICE. — Roméo le peut, si le ciel ne le peut pas — Roméo, Roméo ! qui jamais aurait pensé pareille chose ? — Roméo !

JULIETTE. — Quel diable es-tu pour me tourmenter ainsi ? La torture que tu m’infliges suffirait pour faire rugir dans l’horrible enfer lui-même ? Est-ce que Roméo s’est tué lui-même ? dis seulement, oui, et cotte simple syllabe m’empoisonnera mieux que l’œil meurtrier du basilic : je n’existe plus, si un tel oui a lieu d’exister[1], et s’ils sont fermés au jour ces yeux dont la nuit te fera me répondre oui. S’il est mort, dis-moi, oui ; s’il ne l’est pas, dis-moi, non : que de courtes paroles décident de mon bonheur ou dé mon malheur.

LA NOURRICE. — J’ai vu la blessure, je l’ai vue de mes yeux, — ah ! Dieu nous protége ! — là, sur sa robuste

  1. Juliette joue sur la syllabe I, je, moi, qui était l’ancienne orthographe du mot ay, oui.