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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/188

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lui-même s’est trompé, car il. ne voulait certainement pas la destruction de son royaume. Quand le drame est joué, et que la mort semble triompher, vous croyez peut-être que tout est fini ; non, aussitôt la vie reprend impitoyablement son cours, et le poëte nous en avertit. Les cadavres sont encore chauds, qu’apparaissent déjà les acteurs d’un nouveau drame : sonnez, fanfares ! avancez, cavaliers du jeune Fortinbras !

« Quel drame ! Jamais, je crois, on n’a mieux démontré les deux conditions qui dominent notre vie terrestre : d’une part, la lenteur de mouvement et l’impuissance de l’homme, les difficultés innombrables qui l’empêchent d’agir, cette masse d’obstacles, d’attraits, de hasards qui entravent notre marche et la poursuite de nos projets ; de l’autre, cette impatience presque cruelle des lois éternelles qui semblent s’irriter de nos délais et ont hâte de débarrasser la terre des générations qui la couvrent pour la peupler de nouveaux acteurs. Mais si c’est là une donnée abstraite, comme elle est recouverte de couleurs brillantes, comme elle est bien cachée sous le sang et la chair ! Quelle profusion de détails, et en même temps comme ces détails sont bien en harmonie avec le lieu de l’action, la nature des personnages et l’esprit du temps ! Tout porte le cachet du Nord dans cette pièce merveilleuse, depuis les passions et les superstitions des acteurs, jusqu’à la décoration de la scène. Les superstitions sont sinistres, sérieuses, viriles, et ne s’égarent pas en frayeurs fantasques et puériles comme les superstitions du Midi ; les fantômes sortent de la tombe pour raconter gravement des secrets que leurs auditeurs écoutent d’une oreille recueillie. Les passions, d’une intensité étonnante, sont tout intimes, et n’ont rien d’extérieur ; elles semblent prendre plaisir à se refouler toujours plus profondément dans l’âme, au lieu de chercher à se répandre au dehors comme ces passions exubérantes de climats plus heureux, que le poëte a peintes dans Othello et dans Roméo. Le