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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/196

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baffoue, il l’humilie ; il le force à s’avilir et a se donner en spectacle comme dans la scène du courtisan, Les semblants en toute chose lui sont odieux. « Il me semble, « dites-vous, Madame. Je ne connais pas les semblants, » répond-il à je ne sais quel argument captieux de sa mère. Comme tous les amants de la vérité, il sait reconnaître la réalité sous l’apparence, et distinguer les cœurs qui battent fortement sous l’enveloppe charnelle qui les recouvre. Son meilleur ami est un gentilhomme de rang inférieur, Horatio, qu’il a choisi parce qu’il a reconnu en lui un esprit libre. « Donne-moi un homme qui ne.. « soit pas l’esclave de ses passions, et je le porterai comme « toi dans mon cœur, dans le sanctuaire de mes affections « intimes, » dit-il à Horatio. Pour connaître la vérité il ne reculera devant rien ; il suivra sans hésiter les fantômes, il traversera avec joie les régions ténébreuses de la mort ; il renoncera à ses habitudes chéries, fera taire les émotions de là piété filiale et de la tendresse naturelie, brisera son propre cœur, et en rejettera Ophélia et toutes ses espérances de bonheur. La vérité est pour lui une affaire de vie ou de mort ; il l’aime avec cette intrépidité philosophique qui pousse une grande âme à contempler son redoutable aspect, dût-elle mourir ensuite du secret pénétré, comme on mourait chez les Juifs, lorsque l’oreille avait reçu le son des syllabes qui formaient le nom mystérieux d’Adonaï.

« C’est en cela qu’Hamlet est profondément moderne. Quelque féodal qu’il soit, le moyen âge, ses terreurs, ses superstitions disparaissent ; il n’y a plus de fantômes ; il ne reste devant nous qu’un homme tourmenté de la soif de connaître, et qui aspire de toutes les forces de son âme à la vérité. La vertu d’Hamlet, c’est aussi, je crois, le caractère dominant, le signe élevé et glorieux de l’homme moderne dont nous parlons beaucoup, mais qui est fort difficile à définir : c’est l’amour de la vérité pure, de la vérité : en elle-même, et pour elle-même, de la vérité