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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/195

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en lui ; il est le dernier des féodaux, et il est le premier des hommes modernes.

« Mais le personnage d’Hamlet, s’il doit son individualité à ce cachet historique, doit sa beauté et sa grandeur à une cause plus élevée : il dépasse l’histoire, enjambe le temps. Nous avons vu le féodal, l’homme du seizième siècle ; voyons l’autre nature qui est en lui ; celle-là est admirable.

« La grande vertu d’Hamlet, c’est un amour inaltérable, ardent pour la vérité. Il ne peut parvenir à comprendre le mensonge : cela dépasse son intelligence et le frappe littéralement de stupidité. Quand il essaye de mentir, de paraître ce qu’il n’est pas, il est d’une inconcevable maladresse ; à chaque instant il laisse soupçonner la vérité ; à chaque instant sous la peau d’âne dont il veut en vain s’affubler perce la griffe du lion. Il ne comprend pas mieux les mensonges dû cœur que les mensonges de l’esprit ; il ne comprend pas l’oubli, et il appelle hypocrisie ce qui n’est que sécheresse naturelle et égoïsme humain. Avant que le fantôme lui ait confié aucun secret, il trouve sa mère coupable parce qu’elle a trop vite oublié son père. Comment peut-on ne pas aimer toujours ce qu’on a aimé une fois ? Comment les sources du cœur peuvent-elles se tarir si vite ? Comment pouvons-nous être infidèles à notre âme, mentir à nos affections, bien plus à nos plaisirs ? Sa franchise est sans bornes, et il la pousse jusqu’au bout d’elle-même, avec le plus insultant mépris. Un courtisan, un homme à surface lui inspire une horreur profonde, et en même temps une sorte de gaieté exubérante. Un menteur pour Hamlet dont l’élément de vie est la vérité, est une caricature, un être grotesque et surprenant, exactement comme pour l’homme antique dont l’élément de vie était la liberté, pour le Dion, pour le Pélopidas, le tyran était une sorte de monstre ridicule en dehors de toutes les règles naturelles. Il s’amuse du menteur et du flatteur, il le