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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/254

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de quelques douze ou seize vers que j’écrirais et intercalerais là dedans, le pourriez-vous ?

PREMIER COMÉDIEN. — Oui, Monseigneur.

HAMLET. — Très-bien. — Suivez ce Seigneur, et ayez bien soin de ne pas vous moquer de lui. (Sort le premier comédien.) (À Rosencrantz et à Guildenstern.) Mes bons amis, je vais vous laisser jusqu’à ce soir : vous êtes les bienvenus dans Elseneur.

ROSENCRANTZ. — Mon bon Seigneur ! (Sortent Rosencrantz et Guildenstern.)

HAMLET. — Oui, Dieu soit avec vous ! — Maintenant je suis seul. Oh quel coquin et quel grossier mariant je suis ! N’est-il pas monstrueux que ce comédien qui était là, dans une pure fiction, dans un par rêve d passion, ait pu forcer son âme à s’accorder avec son imagination, à ce point que sous la pression de son illusion, son visage tout entier a pâli, que des larmes ont coulé de ses veux, que l’égarement s’est peint sur sa physionomie, que les sanglots ont entre-coupé sa voix, que toutes les expressions de son être ont pris des formes en harmonie avec son personnage fictif ? et tout cela pour rien ? pour Hécube ? Que lui fait Hécube, et qu’est-il à Hécube pour pleurer ainsi sûr elle ? Et que ferait-il donc s’il avait les mêmes motifs et les mêmes mobiles de douleur que moi ? Il inonderait le théâtre de larmes, il déchirerait les oreilles des spectateurs d’horribles accents ; il rendrait fous les coupables, il ferait pâlir les innocents, il remplirait les ignorants de trouble, et bouleverserait jusqu’au vertige les facultés même de la vue et de l’ouïe. Et cependant, moi, drôle stupide et au cœur de boue, je suis là inerte comme un Jeannot rêveur, insensible à ma cause, et je ne puis rien dire, rien, et cela pour un roi dont le royaume et la vie précieuse ont été volés par un crime damné. Suis-je un lâche ? Qui veut m’appeler scélérat ? qui veut me frapper au travers du visage ?. qui veut m’arracher la barbe et me la jeter à la face ? qui veut mé tirer par le nez ? qui veut me donner le démenti par la gorge, et me l’enfoncer jusqu’aux