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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/255

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poumons ? qui veut me faire cela, en ! Sang de Dieu, je l’accepterais, car il est trop évident que j’ai un foie de pigeon, et que je manque de fiel pour donner à la tyrannie l’amertume qui lui convient ; sans cela, j’aurais déjà engraissé tous les vautours du pays avec la charogne de ce manant. Scélérat sanguinaire et corrompu ! scélérat dénaturé, traître, paillard, sans remords ! Oh, vengeance ! — Oh quel âne que je suis ! Voilà qui est fort courageux à moi, le fils d’un cher père assassiné, à moi qui suis excité à la vengeance par le ciel et l’enfer, de soulager mon cœur par des mots comme une putain, et d’être là à maudire, comme une vraie souillon, comme une marmitonne ! Fi donc, fi ! A votre tâche, ma pensée ! J’ai entendu dire que des personnes coupables, assistant à une représentation dramatique, ont été tellement atteintes à l’âme par l’illusion de la scène, qu’elles ont sur-le-champ proclamé leurs méfaits ; car le meurtre, bien qu’il n’ait pas de langue, se dénoncera par un organe très-miraculeux 9. Je ferai jouer devant mon oncle par ces comédiens quelque pièce rappelant le meurtre de mon père : j’observerai ses regards ; je le sonderai jusqu’au vif ; s’il vient seulement à tressaillir, je sais ce que je dois faire. L’esprit que j’ai vu peut être le diable : or le diable a pouvoir de revêtir une forme aimable aux yeux ; oui, et peut-être veut-il tirer parti pour me damner de ma faiblesse et de ma mélancolie, car il est très-puissant avec des âmes de la nature de la mienne. Il me faut marcher sur un terrain plus solide que celui-là : — cette représentation dramatique est le moyen dont je me servirai pour surprendre la conscience du roi. (Il sort.)