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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/286

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HAMLET. — Oh, rejetez-en la pire moitié, et vivez d’autant plus pure avec l’autre. Bonne nuit : mais n’allez pas" au lit de mon oncle ; imposez-vous une vertu, si vous ne l’avez pas. La coutume, ce monstre qui dévore toute chose sensée, ce diable trop fréquent de nos habitudes est cependant un ange en ceci qu’elle donne aux actions belles et bonnes passées en usage, un froc ou une livrée qui s’adapte exactement à leur taille. Abstenez-vous cette nuit : cela vous prêtera une sorte d’assistance pour supporter plus aisément la prochaine abstinence : la suivante sera plus aisée encore ; car l’habitude peut presque changer la marque de la nature, et se rendre maîtresse du diable ou le chasser avec une puissance merveilleuse. Une fois encore, bonne nuit : et quand vous ressentirez le désir d’être bénie du ciel, je viendrai solliciter votre bénédiction. Quant à ce Seigneur (il désigne Polonius), je me repens de ce que j’ai fait ; mais il a plu aux cieux de me punir par lui et de le punir par moi, afin que je fusse leur fouet et leur ministre. Je vais le déposer en lieu convenable, et je porterai la responsabilité de la mort que je lui ai donnée-. Bonne nuit, encore une fois. Je dois être cruel, mais c’est pour être tendre : la première scène est tragique, et de plus terribles restent à venir. Un mot encore, bonne Madame ?

LA REINE. — Que devrai-je faire ?

HAMLET. — Avant tout, rien de ce que je vous ai recommande : laissez ce roi bouffi vous conduire encore à sa couche, vous tapoter amoureusement sur la joue, vous appeler sa souris, et qu’en échange d’un ou de deux baisers fumeux, ou de quelques caresses de ses doigts damnés sur votre cou, il vous arrache le secret dé toute cette affaire, vous fasse dire comment je ne suis pas réellement fou, mais seulement fou par ruse. Il serait bon de le lui laisser connaître ; car comment une reine, qui n’est que belle, sage et sobre, consentirait-elle à cacher de si précieuses informations à un crapaud, à une chauve-souris, à un matou ? Quelle est celle qui ferait cela ? Non, en dépit du bon sens et de la discrétion, ouvrez la cage