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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/296

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courir ; le tout pour une simple coquille de noix. Être vraiment grand, ne consiste pas à ne se remuer que pour une grande cause, mais à trouver avec grandeur l’objet d’une querellé dans un brin de paille, lorsque l’honneur est engagé. Comment, donc se fait-il que-moi, dont le père est assassiné, et la mère souillée, stimulants bien suffisants pour ma raison et ma colère, je laisse tout dormir, tandis que je vois vingt mille hommes sur lesquels la mort est suspendue, aller à leurs tombeaux comme à leurs lits, pour une chimère et un brimborion de renommée, pour la conquête d’un morceau de terre trop petit pour qu’ils s’y déploient tous, et qui n’est pas une tombe assez vaste pour cacher les morts ? Oh ! qu’à partir de ce moment mes pensées soient de sang, ou n’aient aucun but ! (Il sort.)

SCÈNE V.

ELSENEUR. — Un appartement dans le château.
Entrent LA REINE et HORATIO.

LA REINE. — Je ne veux pas causer avec elle.

HORATIO. — Elle le demande avec importunité ; en vérité, elle délire ; son état est fait pour inspirer la plus profonde pitié !

LA REINE. — Que veut-elle ?

HORATIO. — Elle parle beaucoup de son père, dit qu’elle sait qu’il y a de vilaines manœuvres dans le monde, gémit, frappe à la place de son cœur, entre en colère contre des fétus, prononce des paroles ambiguës qui n’ont qu’un demi-sens : ses paroles ne veulent rien dire, et cependant leur forme vague excite les auditeurs à réfléchir ; ils en cherchent la signification, et ajustent les mots à leurs propres pensées ; et comme elle accompagne ses paroles de clignements d’yeux, de signes de tête, de gestes, on peut être induit à penser que si rien n’est certain, il pourrait bien cependant y avoir quelque chose de mauvais. Il