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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/301

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LE ROI. — Laissez-le questionner à son aise.

LAERTES. — Comment est-il mort ? Je ne me laisserai pas tromper. En enfer, ma fidélité de sujet ! au diable le plus noir, mes serments ! au plus profond de l’abîme, conscience et religion ! Je défie la damnation : j’en suis à ce point, que je me moque de ce monde et de l’autre, advienne que pourra ; seulement je veux être vengé pleinement de la mort de mon père.

LE ROI. — Qui vous y aidera ?

LAERTES. — Ma volonté et rien d’autre au monde ; et quant âmes moyens d’y parvenir, je les ménagerai si bien qu’ils iront loin avec peu.

LE ROI. — Mon bon Laertes, si vous désirez savoir la vérité sur la mort de votre cher père, est-il écrit dans votre vengeance, que comme un joueur qui fait rafle, vous devez emporter à la fois ami et ennemi, perdant et gagnant ?

LAERTES. — Rien que ses ennemis.

LE ROI. — Voulez-vous les connaître alors ?

LAERTES. — À ses bons amis j’ouvre ainsi mes bras tout larges, et comme le pélican généreux de sa propre vie, je m’offre à les nourrir de mon sang.

LE ROI. — Ah ! vous parlez maintenant comme un bon fils et un vrai gentilhomme. Aussi clairement que votre œil voit le jour, votre jugement découvrira que je suis innocent de la mort de votre père, et que j’en ressens un chagrin très-profond.

LES DANOIS, de l’extérieur. — Laissez-la entrer.

LAERTES. — Qu’est-ce donc ? quel est ce bruit ?

Rentre OPHÉLIA.

LAERTES. — Ô fièvre brûlante, dessèche mon cerveau ! larmes sept fois salées, détruisez dans mes yeux le sens et le don de voir ! Par le ciel, ta folie sera payée à son poids, jusqu’à ce que la balance penche de notre côté ! Ô rose de mai ! chère vierge ! tendre sœur ! douce Ophélia ! Ô ciel ! est-il possible que la raison d’une jeune fille soit aussi accessible à la mort que la vie d’un vieillard ? La