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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/358

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et le crime aura été commis impunément. Le Maure ayant accepté, l’enseigne se cache un soir derrière la porte de la chambre et fait quelque bruit. « Lève-toi, dit le Maure à Desdémona, et vois ce que c’est. » La pauvre femme se lève sans défiance et reçoit de l’enseigne un coup de sac plein de sable qui la renverse. Elle crie au secours, n’en reçoit pas d’autre que les injures de son lâche mari, et meurt au troisième coup de l’enseigne. Alors les meurtriers la blessent et la mutilent à la tête, la posent sur son lit, et laissent tomber sur elle le plafond. Voilà l’invention à la fois baroque et vulgaire qui remplace l’oreiller d’Othello, cet oreiller, dernière marque d’amour, choisi avec tant de barbare tendresse pour que le ; sang de la belle créature ne soit pas répandu. Jamais femme ne fut tuée avec moins de noblesse que la Desdémona de Cinthio.

La vengeance, loin de calmer l’âme dû Maure, ne fait que changer la nature de ses tourments. Ne pouvant se consoler de la mort de Desdémona, il prend l’enseigne en horreur, et finit par lui enlever son grade. Le scélérat continuant le cours de ses exploits dénonce alors au caporal l’auteur du coup qui l’a réduit à marcher avec une jambe de bois. Ce dernier accuse le Maure devant la Seigneurie de Venise, et de sa blessure, et du meurtre de Desdémona. Le Maure est mis à la torture, nie obstinément son crime, et finit par périr assassiné par les parents de Desdémona. Quant à l’enseigne, il persévère dans son infamie, et s’étant rendu coupable d’une fausse accusation nouvelle, il est soumis à la torture et meurt des suites de ses tourments. On voit combien la conclusion de cette histoire diffère de celle de Shakespeare. Nous n’insisterons que sur deux détails. Le Maure de la nouvelle italienne est une dupe lâche et cruelle, sans aucun éclair de noblesse, et qui pour tout héroïsme n’a que de l’obstination. Son âme marche de pair avec celle de l’enseigne. Sa vengeance est basse et n’a rien de la belle cruauté de