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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/366

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choquantes qui le séparent d’elle, et elle s’est amoureusement offerte au vieux soldat comme une victime expiatoire de sa vie laborieuse, comme un holocauste chargé de racheter ses dures fatigues. Elle s’est offerte comme un holocauste ! Oserai-je dire qu’il y a là une pointe de perversité. Les anges aussi peuvent avoir leur perversité, et cette perversité c’est un excès de zèle séraphique, un empressement trop vif d’humilité, une expansion de charité trop ardente. Ah ce n’est pas pour rien que le conteur italien a donné à la noble patricienne de Venise ce nom singulier de Desdémona (la demoiselle de la maison des démons), et que Shakespeare le lui a conservé ! Mais cette perversité angélique qui est celle de l’épouse d’Othello est bien féminine, et Shakespeare, qui a compris le cœur humain dans toute son étendue, a trouvé dans cette amoureuse ardeur de sacrifice l’élément premier d’un des types les plus attachants, les plus pathétiques, les plus foncièrement féminins qui aient jamais été créés par aucun poète.