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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/423

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noble et franche nature fût trompée par suite de sa générosité, veillez-y : je connais bien le caractère de notre pays : à Venise, les femmes laissent voir au ciel les caprices qu’elles n’osent pas montrer à leurs maris ; toute leur conscience consiste non pas à ne pas faire, mais à tenir caché.

OTHELLO. — Parles-tu sérieusement ?

IAGO. — Elle trompa son père en vous épousant ; au moment où elle semblait frissonner et avoir peur devant vos regards, c’est alors qu’elle les aimait le plus.

OTHELLO. — C’est en effet ce qu’elle fit.

IAGO. — Ah bien, en ce cas, continuez le raisonnement : celle qui si jeune put dissimuler au point de tenir les yeux de son père aussi étroitement fermés que le cœur d’un chêne, — si étroitement qu’il prit cela pour de la magie : — mais je suis tris à blâmer : je vous demande humblement pardon, de cet excès d’affection.

OTHELLO. — Je te suis à jamais obligé.

IAGO. — Je vois que cela a quelque peu troublé vos esprits.

OTHELLO. — Pas d’un brin, pas d’un brin....

IAGO. — Sur ma foi, je crois que cela vous a troublé. J’espère que vous voudrez bien considérer que ce que je vous dis vient de mon affection pour vous ; — mais je vois que vous êtes ému : je dois vous prier de ne pas donner à mes paroles de plus grosses conséquences et une plus grande étendue que celles du soupçon.

OTHELLO. — C’est ce que je ferai.

IAGO. — Si vous alliez plus loin, Monseigneur, mes paroles obtiendraient un détestable succès auquel elles ne visent pas. Cassio est mon digne ami.... Monseigneur, je vois que vous êtes ému.

OTHELLO. — Non, pas beaucoup ému : — je crois que Desdémona ne peut être qu’honnête

IAGO. — Puisse-t-elle vivre longtemps telle ! et puissiez-vous vivre longtemps pour la croire telle !

OTHELLO. — Et cependant, quand la nature s’égare hors d’elle-même....