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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/477

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vous reculez d’effroi ? Crainte inutile : dirigez seulement un jonc contre la poitrine d’Othello, et il se retirera : — où donc Othello pourrait-il aller ? — Voyons quel aspect tu présentes à cette heure ? Ô femme née sous une mauvaise étoile ! Pâle comme ta chemise ! lorsque nous nous rencontrerons au tribunal de Dieu, ton aspect présent suffira pour précipiter mon âme du ciel, et les démons s’en saisiront ! — Froide, froide, mon enfant ! froide comme ta chasteté même. — Oh, le manant maudit, maudit ! — Démons, chassez-moi à coups de fouet hors de la vue de cette lumière céleste ! roulez-moi dans des vents sans repos ! faites-moi cuire dans le soufre ! plongez-moi dans des gouffres profonds de feu liquide ! O Desdémona ! morte, Desdémona ! morte !. oh ! oh !

Entrent LODOVICO, MONTANO, CASSIO, porté dans un fauteuil, et DES OFFICIEES avec IAGO prisonnier.

LODOVICO. — Où est ce forcené et trop malheureux homme ?

OTHELLO. — Celui qui fut Othello ; — me voici.

LODOVICO. — Où est cette vipère ? faites avancer le scélérat.

OTHELLO. — Je regarde ses pieds, mais c’est une fable (a). — Si tu es un démon, je ne puis te tuer. (Il blesse lago.)

LODOVICO. — Enlevez-lui son arme.

IAGO. — Je saigne, Seigneur, mais je ne suis pas tué.

OTHELLO. — Je n’en suis pas fâché non plus : je voudrais que tu vécusses, car à mon avis, mourir est un bonheur.

LODOVICO. — Ô Othello, toi autrefois si vertueux, et qui es tombé dans les piéges d’un manant damné, comment t’appellera-t-on ?

OTHELLO. — Parbleu, comme on voudra : un meurtrier honorable, si vous voulez ; car je n’ai rien fait par haine, mais tout par honneur.

LODOVICO. — Ce misérable a confessé en partie sa scé-

(a) Othello fait allusion à la superstition populaire qui attribuait au diable un pied fourchu par lequel on pouvait aisément le reconnaître.