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LAON ET CYTHNA 111

ceux qui le sont. Jusqu’à quel point trouvera-t-on que je possède le plus essentiel attribut de la poésie, c’est-à-dire, le pouvoir d'éveiller dans les autres des sensations semblables à celles qui m’animent moi-même ? C’est ce que, pour parier en toute sincérité, je ne sais pas ; et ce que, avec un esprit docile et résigné, je m’attends à apprendre de l’effet que je produirai sur ceux à qui je m’adresse.

J’ai évité, ainsi que je l’ai déjà dit, d’imiter aucun style contemporain. Mais il doit y avoir entre tous les écrivains d’un même siècle une ressemblance indépendante de leur propre volonté. Ils ne peuvent échapper à la commune influence qui est le résultat d’une infinie combinaison de circonstances appartenant au temps où ils vivent : quoique chacun soit en un certain degré l’auteur de l’influence même qu’il subit. C’est ainsi que les poètes tragiques du temps de Périclès, les auteurs italiens de la Renaissance, les puissants esprits qui surgirent chez nous après la Réforme, les traducteurs de la Bible, Shakespeare, Spenser, les dramatistes du règne d’Elisabeth, lord Bacon (1), les esprits plus froids de l’époque qui suivit, nous présentent tous, au milieu de toutes leurs dissemblances, de grandes analogies entre eux. A ce point de vue, Ford ne peut pas plus être appelé l’imitateur de Shakespeare, que Shakespeare l’imitateur de Ford. Il y eut peut-être entre ces deux hommes quelques points de ressemblance autres que ceux produits par la générale et inévitable influence de leur siècle. Celle-ci est une influence à laquelle le plus petit écrivailleur ni le plus sublime génie ne peuvent se soustraire : je n’ai pas essayé d’y échapper.

J’ai adopté la stance de Spenser (un rythme d’une inexprimable

beauté), non parce que je la considère comme un 

modèle plus achevé de l’harmonie poétique que le vers blanc de Shakespeare et de Milton, mais parce que dans ce dernier il n’y a pas d’abri pour la médiocrité ; il faut réussir ou échouer. Un esprit ambitieux l’eût peut-être tenté. Mais j’étais aussi attiré par l’éclat et la magnificence

(.1) Bacon domine seul le siècle qu’il a éclairé. S.