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110 œUVRES POÉTIQUES DE SHELLEY

fermés les canaux de communication entre la pensée et l’expression. Jusqu’à quel point puis-je appartenir à l’une ou à l’autre de ces deux classes, je ne sais. J’aspire au moins à être quelque chose de mieux. Les circonstances accidentelles de mon éducation ont été favorables à celte ambition. Dès mon enfance j’ai été l’hôte familier des montagnes et des lacs, delà mer et des forêts solitaires ; le danger, qui se joue au bord des précipices, a été mon compagnon de jeux. Jai foulé les glaciers des Alpes, et vécu sous le regard du mont Blanc. J’ai erré dans les pays lointains. J’ai descendu les grands fleuves ; j’ai vu se lever et se coucher le soleil, et les étoiles briller au ciel, pendant que je voguais nuit et jour emporté par un rapide courant entre une double ligne de montagnes. J’ai vu de populeuses cités, j’ai observé comment les passions se soulèvent, se répandent, s'étouffent et se transforment, dans les multitudes assemblées. J’ai vu le théâtre des plus sensibles ravages de la tyrannie et de la guerre, des cités et des villages réduits à quelques groupes dispersés de maisons noircies et sans toits, et les malheureux habitants allâmes et nus sur leurs seuils désolés. J’ai conversé avec les hommes de génie mes contemporains. La poésie de l’ancienne Grèce et de Rome, de l'Italie moderne et de mon propre pays, a été pour moi, comme la nature elle-même, une passion et une volupté. Telles sont les sources dont j’ai tiré les matériaux des images de mon poème. J’ai considéré la poésie dans son acception la plus compréhensive ; j'ai lu les poètes, les historiens et les métaphysiciens (1) dont les ouvrages m’ont été accessibles, et j’ai contemplé la belle et majestueuse scène de l’univers, comme autant de sources communes des éléments que le poète est appelé à combiner et à faire vivre. Cependant l’expérience et les sentiments dont je parle ne font pas proprement de l'homme un poète, mais le préparent seulement à être l’auditeur de

(1) En ce sens il peut y avoir une certaine perfectibilité dans les oeuvres de fiction, malgré l’opinion souvent exprimée par les avocats du progrès humain, que la perfectibilité est un terme qui ne peut s’appliquer qu’à la science. S.