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REINE MAB

LA FÉE

« Esprit ! qui as plongé si profond !… Esprit, qui as plané si haut ! Toi l’intrépide, toi le doux, accepte la faveur due à ton mérite… Monte dans le char avec moi. »

L’ESPRIT

« Rêvé-je ?… Ce sentiment nouveau n’est-il qu’une vision, un fantôme du sommeil ?… S’il est vrai que je sois une âme, une âme libre et dégagée du corps, parle-moi encore. »

LA FÉE

« Je suis la Fée Mab ; il m’est donné d’observer les prodiges du monde humain ; les secrets de l’incommensurable passé, je les découvre dans les consciences infaillibles des hommes, ces chroniqueurs austères et qui ne savent point flatter ; l’avenir, je le déduis des causes qui surgissent dans chaque événement. Ni l’aiguillon que le souvenir vengeur plante dans le sein endurci de l’homme égoïste, ni cette palpitation extatique et triomphante qu’éprouve le sectateur de la vertu quand il récapitule les pensées et les actions d’un jour bien rempli, n’échappent à mon regard, et je les enregistre. Même, il m’est permis de déchirer le voile de la mortelle fragilité, afin que l’esprit, revêtu de son immuable pureté, puisse apprendre comment réaliser au plus tôt la grande lin pour laquelle il existe, et goûter cette paix, dont à la fin toute vie doit avoir sa part. C’est la récompense de la vertu… Heureuse Âme, monte dans le char avec moi. »

Les chaînes de la prison terrestre tombèrent de l’esprit d’Ianthe ; elles éclatèrent et se rompirent comme des liens de paille sous l’effort d’un géant qui