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REINE MAB 25

« II n'y a pas un atome de cette vaste terre qui n’ait été un jour un homme vivant ; pas la plus petite goutte de pluie suspendue dans le plus mince nuage, qui n’ait coulé dans dos veines humaines. Et des plaines brûlantes où hurlent les monstres de Lybie, des plus sombres vallons du Groenland sans soleil, jusqu’aux rivages où les champs d’or de la fertile Angleterre déploient leurs moissons à la lumière du jour, tu ne saurais trouver une place où quelque cité n’ait existé.

« Qu’étrange est l'humain orgueil ! Je te dis que ces atomes vivants, pour qui le fragile brin d’herbe qui germe le matin et périt avant le soir est un monde illi- mité ; je te dis que ces êtres invisibles qui habitent les plus petites particules de l’insensible atmosphère, pen- sent, sentent et vivent, comme l’homme ; que leurs affections et leurs antipathies, comme les siennes, produisent les lois qui gouvernent leur état moral ; et que la moindre palpitation qui dans leur trame répand le plus faible, le plus léger ébranlement, est aussi réglée, aussi nécessaire que les lois majestueuses qui gouvernent les sphères roulant dans l’espace. »

La Fée s’interrompit. L’Esprit, dans l’extase de l’admiration, sentait revivre toute la science du passé ; les événements des anciens âges merveilleux, qu’une obscure tradition enseigne sans suite au vulgaire crédule , se dévoilaient à sa vue dans leur juste perspective, obscurs encore, mais seulement par leur infinitude. II semblait à l’Esprit qu’il était au haut d’un pinacle isolé, ayant au dessous de lui la marée montante des âges, au dessus les profondeurs de l’univers sans bornes, et tout autour l’immuable harmonie de la nature.

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