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30 ŒUVRES POÉTIQUES DE SHELLEY

inconnu dans la salle royale, tombant bientôt en ruines : tandis que le commerce du mensonge deviendra aussi odieux, aussi inutile que l’est aujourd’hui celui de la vérité.

« Où est la gloire que la vanité des puissants de la terre cherche à éterniser ? Oh ! le plus faible bruit que fait le pas léger du Temps, la plus petite vague qui grossit le courant des âges, ensevelit dans le néant cette bulle vide ! Oui, aujourd’hui, rigide est la loi du tyran, rouge le regard qui lance la désolation, fort le bras qui dissipe les multitudes Demain arrive ! cette loi n’est plus qu’un coup de tonnerre évanoui dans le passé ; ce regard, un éclair passager sur lequel la nuit s’est refermée ; et de ce bras le vers a fait sa pâture !

« Quand l’homme vertueux, aussi grand dans son humilité que les rois sont petits dans leur grandeur ; l’homme qui mène sans défaillance une vie d’invincible probité, et qui, au fond des cachots silencieux, est plus libre et plus intrépide que le juge tremblant qui, revêtu d’un pouvoir vénal, a vainement essayé d'enchaîner l’impassible esprit — quand il succombe, son œil doux ne rayonne plus de bienveillance ; sa main qui ne s’éten- dait que pour soulager est desséchée ; évanouie, cette éloquence simple de la raison qui n’élevait la voix que pour consterner le coupable... Oui, le tombeau a éteint cet œil ; le froid impitoyable de la mort a raidi ce bras ; mais le renom incorruptible que la vertu suspend sur la tombe de son sectateur, la mémoire immortelle de cet homme, dont la seule pensée fait trembler les rois, la ressouvenance dans laquelle l’heureux esprit contemple le bon emploi de son pèlerinage sur la terre, ne passera jamais !