Page:Shelley - Œuvres poétiques complètes, t1, 1885, trad. Rabbe.djvu/37

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REINE MAB 31

« La nature rejette le monarque, non l’homme ; le sujet, non le citoyen ; car rois et sujets, ennemis les uns des autres, jouent entre eux une partie toujours perdante, dont les enjeux sont le vice et la misère. L’homme à l’âme vertueuse ne commande, ni n’obéit. Le pouvoir, comme une peste désolante, souille tout ce qu’il touche ; et l’obéissance, fléau de tout génie, vertu, liberté, vérité, des hommes fait des esclaves, et de l’organisme humain un automate, une machine.

« Quand Néron, planant au-dessus de Rome en flam- mes, fondit sur elle avec la joie sauvage d’un démon, buvant d’une oreille ravie les cris déchirants de l’agonie, quand il contempla l’effrayante désolation partout répandue et sentit comme un nouveau sens créé dans son âme tressaillir à cette vue et vibrer à ces accents, crois-tu que sa grandeur n’avait pas dépassé la force de la patience humaine ? Et si Rome, d’un seul coup, n’abattit pas le tyran, n’écrasa pas ce bras rouge de son sang le plus cher, l’abjection de l’obéissance n’avait-elle pas détruit les instincts de la nature ?

« Regarde plus loin encore la terre ! Les moissons d’or germent ; le soleil infatigable répand la lumière et la vie ; les fruits, les fleurs, les arbres croissent à leur saison ; toutes choses disent paix, harmonie, amour ! L’univers, dans la silencieuse éloquence de la Nature, déclare que tous les êtres accomplissent l’œuvre d’amour et de joie, tous excepté un réfractaire, l’homme ! Lui, il fabrique le fer qui poignarde sa paix ; il caresse les serpents qui lui rongent le cœur ; il élève le tyran qui se réjouit de ses douleurs et se fait un jeu de son agonie ! Le soleil là-bas n’éclaire-t-il que les grands ? Les rayons d’argent dorment-ils moins doucement sur le chaume