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Page:Shelley - Œuvres poétiques complètes, t1, 1885, trad. Rabbe.djvu/41

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REINE MAB 35

arbre, qui abrite son obscurité des rayons du jour, ondule sur la tombe d’un guerrier.

" Je te vois reculer, Esprit supérieur ! — N’as-tu pas été homme ? Je vois une ombre d’anxiété et d’horreur passer sur ton front sans tache. Mais ne crains rien ; ce n’est pas une misère sans raison, sans cause et sans remède. Non, la nature mauvaise de l’homme, cette apologie que les rois qui gouvernent et les lâches qui rampent ne manquent pas d’invoquer pour justifier leurs innombrables crimes, ne verse pas le sang qui désole la plaine dévastée par la discorde ; c’est des rois, des prêtres, des hommes d’État que la guerre est venue ; leur salut est dans la douleur profonde, incurable de l’homme, leur grandeur dans son abaissement. Que la hache frappe à la racine, l’arbre empoisonné tombera ; et là où ses exhalaisons vénéneuses répandaient la ruine, la douleur et la mort, où des millions d’êtres gisaient assouvissant la faim des reptiles, leurs os blanchissant sans sépulture dans une atmosphère putride, un jardin s’élèvera, surpassant en délices le fabuleux Éden.

« L’Ame de la Nature, — • qui a formé ce monde si beau, qui a répandu l’abondance sur le sein de la terre, qui a accordé la plus petite fibre de la vie pour un immuable unisson, qui a donné aux heureux oiseaux le bocage pour séjour, accordé aux voyageurs de l’abîme le silence ravissant de l’insondable océan, rempli le plus chétif ver qui se traîne dans la poussière d’esprit, de pensée et d’amour, — l’Ame de la Nature ! sur l’homme seul, partiale dans sa malice sans cause, aurait-elle folâtrement accumulé ruine, vice, esclavage ? flétri son âme de dévorantes malédictions ? placé bien loin de lui le météore bonheur, pour échapper à sa main, et ne