Page:Shelley - Œuvres poétiques complètes, t1, 1885, trad. Rabbe.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

34 ŒUVRES POÉTIQUES DE SHELLEY

l’obscurité qui s’amoncelle. Ecoute ce rugissement dont les rapides et sourds éclats retentissent en échos sans nombre à travers les montagnes, faisant tressaillir le pâle Minuit sur son trône étoile ! Voilà que grossit le fracas entrechoqué ; la vibration répétée et effrayante de la bombe qui éclate ; le rayon qui tombe, les cris perçants, les gémissements, les clameurs de triomphe, le cliquetis sans repos, et le choc précipité des hommes ivres de rage... De plus en plus retentissant, le tumulte grandit, jusqu’à ce que la pâle mort ferme la scène, et sur le vainqueur et le vaincu étende son froid et sanglant linceul. — De tous les hommes que le rayon fuyant du jour a vus là florissants dans leur fière et robuste santé, de tous les cœurs vivants qui battaient là pleins d’angoisse au cou- cher du soleil, combien peu survivent, combien peu battent encore !... Partout le profond silence, semblable au calme plein de terreurs qui sommeille dans le monstrueux repos de la tempête ; excepté quand la plainte éperdue de l’amour réduit au veuvage vient frémir sur la brise, ou que se fait entendre le faible gémissement de l’âme brisant l’enveloppe d’argile qui emprisonne ses facultés rebelles.

« Le gris malin se lève sur cette funèbre scène ; la fumée sulfureuse roule encore lentement devant la brise glacée, et les brillants rayons de la gelée matinale dan- sent le long de la neige diamantée. Là, des traces de sang même au plus profond de la forêt, et des armes brisées, et des guerriers sans vie dont la mort même n’a pu changer les traits farouches, marquent le passage terrible des vainqueurs déchaînés ; bien loin au delà, de noires cendres indiquent la place où s’élevait leur fière cité. Au fond de la forêt est un sombre vallon ; chaque