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Page:Shelley - Œuvres poétiques complètes, t1, 1885, trad. Rabbe.djvu/51

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REINE MAB

tremblent à chaque pas. Que de Miltons manqués ont passé sur la terre, étouffant les muets désirs de leur cœur dans les soucis et les fatigues d’un labeur sans repos ! Que de vulgaires Catons ont employé leur énergie, bientôt domptée par un pareil effort, à mouler une épingle, à fabriquer un clou ! Combien de Newtons inconnus, dont les yeux passifs ne virent dans ces puissantes sphères qui diamantent l’espace infini, que des paillettes de clinquant, clouées dans le ciel pour éclairer les minuits de leur ville natale !

« Cependant tout cœur contient le germe de la perfection ; le plus sage des sages de la terre, qui jamais des trésors de la raison ait tiré la science, la vérité et les accents intrépides de la vertu, n’a été qu’un enfant faible et sans expérience, orgueilleux, sensuel, indifférent, dénué du pur désir et de l’universel amour, en comparaison de cet être idéal, composé sublime de raison sans nuage, de pure passion, de volonté élevée, que la mort (et encore hésiterait-elle longtemps dans la crainte que lui inspireraient sa noble présence et l’immuable rayon de son regard), que la mort, dis-je, pourrait seule subjuguer ! Le dernier des esclaves traînant aujourd’hui à travers l’ordure de quelque cité corrompue sa triste vie, languissant de faim, ou gonflé de luxure, émoussant la délicatesse de son sens spirituel dans des calculs étroits et d’indignes soucis, ou se ruant en furieux dans toutes sortes de violences et de crimes pour réveiller la profonde stagnation de son âme, pourrait l’imiter ou l’égaler.

« Mais la basse convoitise a tendu autour du monde de si étroites chaînes, que tout y est vénal, excepté l’homme vertueux. L’or et la renommée remporteront