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ŒUVRES POÉTIQUES DE SHELLEY

viendra où de la coupe de la joie les pures gouttes salutaires tomberont comme une rosée de baume sur le monde ! Maintenant, revenons à la scène que je t’ai montrée tout à l’heure, et lisons la charte ensanglantée du malheur universel, que bientôt la Nature de sa main régénératrice effacera miséricordieusement du livre de la terre. Qu’il est hardi le vol de l’aile vagabonde des Passions ! Qu’il est rapide le pas plus ferme de la Raison ! Qu’elles sont calmes et douces les victoires de la vie ! Comme il a perdu ses terreurs le triomphe du tombeau ! Qu’il était faible le bras du plus puissant monarque, vaine sa menace retentissante, impuissante sa colère ! Qu’il était ridicule le rugissement dogmatique du prêtre, léger le poids de ses anathèmes exterminateurs ; et sa charité affectée, si souple à la pression des révolutions des temps, quelle palpable fourberie ! Mais c’était pour te venir en aide, ô Religion ! C’était pour toi, prolifique monstre qui peuples la terre de démons, l’enfer d’hommes, et le ciel d’esclaves !

« Tu souilles tout ce que tu regardes ! — Les astres, qui sur ton berceau brillèrent d’un éclat si doux, furent des dieux pour le folâtre enjouement de la première enfance abandonnée ; les arbres, l’herbe, les nuages, les montagnes et la mer, toutes les choses vivantes qui marchent, nagent, rampent ou volent, furent des dieux ; le soleil eut un culte, et la lune ses adorateurs. Puis, enfant, tu devins plus hardie dans les frénésies ; toute forme monstrueuse, gigantesque, ou étrangement belle, que l’imagination emprunte aux données de la sensation ; les esprits de l’air, les spectres frémissants, les génies des éléments, les forces qui donnent une forme aux œuvres variées de la Nature,