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REINE MAB

colère du Tout-Puissant les fixait… et dans leurs diverses attitudes de mort, les crânes muets et sans yeux de mes enfants assassinés projetaient sur moi une spectrale lueur !

« Mais mon âme, à force de voir et de ressentir les souffrances corruptrices de la tyrannie, a depuis longtemps appris à préférer la liberté de l’Enfer à la servitude du Ciel. — Donc je me levai, et sans crainte je commençai mon pèlerinage solitaire et sans fin ; résolu à engager une guerre impitoyable avec mon tout-puissant tyran, et à défier sa colère impuissante à me nuire au-delà des bornes de la malédiction que j’avais encourue. La même main qui a fermé devant mes pas le refuge et la paix du tombeau a écrasé la terre sous le poids de la misère, et donné son empire aux élus d’entre ses esclaves. Je les ai vus, dès la première aurore de leur faible, instable et précaire pouvoir, prêchant alors la paix, comme aujourd’hui ils pratiquent la guerre ; je les ai vus, alors qu’ils ne faisaient que revenir du massacre d’inoffensifs infidèles, étancher leur soif de ruine dans le sang même qui coulait dans leurs propres veines ; et un zèle sans pitié glaça tout sentiment humain, si bien que l’épouse plongeait dans le cœur de son mari le poignard sacré, à l’heure même où ses désirs rêvaient de son amour ; amis contre amis, frères contre frères se dressèrent l’un contre l’autre dans la plus sanglante bataille, et la guerre, à peine rassasiée par les dernières rasades de mort versées par le destin, s’acharnait toujours, ivre du pressoir de la colère du Tout-Puissant ; pendant que la croix rouge, en dérision de la paix, montrait la victoire ! Quand la mêlée fut terminée, il ne resta aucun survivant de la foi exterminée pour raconter sa ruine, rien… que