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REINE MAB 69

feu inextinguible ; la vérité toujours tardive ne parvenait point à arrêter ses progrès, ou à créer cette paix qui pour la première fois dans une victoire non sanglante fit flotter son étendard de neige sur ce climat favorisé. Là, l’homme fut longtemps le porte-queue des esclaves, le singe de la misère environnante, le chacal de la rage ambitieuse, le chien courant du zèle affamé de la religion.

« Là maintenant, l’être humain pare la plus aimable des terres de son âme et de son corps sans souillure, doué dès sa naissance de tous les charmants instincts, qui doucement dans son noble sein éveillent toutes les passions bienveillantes et les purs désirs. Il ne cesse de poursuivre d’espérance en espérance le bonheur qui du trésor inépuisable du bien-être humain afflue dans l’esprit vertueux ; les pensées, surgissant avec une infinité qui défie le temps, lui donnent cette éternité intime qui se moque de l’impuissante blancheur de la vieillesse ; et l’homme, qui autrefois passait sur la scène transitoire avec la rapidité dune vision aussitôt oubliée, est immortel sur la terre. Il ne tue plus l’agneau qui le regarde dans les yeux, ne dévore plus horriblement ses chairs déchirées, qui, pour venger la loi violée de la Nature, allumaient dans son corps toutes les humeurs putrides, et dans son âme toutes les mauvaises passions, toutes les pensées vaines, les germes de la misère, de la mort, de la maladie et du crime. Maintenant les habitants ailés, qui chantent leurs douces vies dans les bois, ne fuient plus la forme de l'homme ; ils se réunissent autour de lui, et lissent leurs plumes étincelantes sur les mains que, dans un amical amusement, de petits enfants tendent à ces compagnons apprivoisés de leur jeu.