Page:Siefert - Les Saintes Colères, 1871.djvu/17

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Au matin mi-voilé de gris-rose et de bleu.
Le vent en soupirant s’élevait peu à peu,
Et le cœur se serrait à ce doux paysage.
Alors mon compagnon détournant son visage,
Évitant tout regard qui le pouvait troubler,
Lentement, sourdement se mit à me parler :

« Oui, j’ai deux fils là-bas, dit-il. Cette semaine
J’ai su que le second va bien. Dieu le ramène !
Moi, je ne l’attends plus depuis que l’autre est mort.
Oh ! ne m’allez pas dire : On ne sait pas son sort ;
Peut-être est-il blessé, prisonnier ? — Non, madame.
Je connais mon garçon, c’est une bonne lame,
Qui sait qu’on ne doit pas se rendre. Les meilleurs
Disaient : « Il nous vaut tous ! » J’en étais fier. D’ailleurs
Le journal l’a bien dit, et je l’ai lu moi-même,
Son régiment était à Wœrth. C’est le deuxième,
Celui dont il n’est rien resté — que le tombeau !
Vive Dieu ! quel lancier c’était, et brave, et beau !
Perdre un enfant pareil, voyez-vous, ça vous ronge.
Le cinq août, la veille (on dit songe, mensonge,
N’est-il pas vrai ? pourtant, écoutez donc ceci) :
Il est venu vers moi la nuit, il m’a saisi
Dans ses bras : « Adieu, père ! » — Il est sorti tout pâle.
Au jour, me rappelant cette scène fatale,
L’embrassade, le cri, j’ai compris la leçon
Qu’il me fallait comprendre, et j’ai dit : Mon garçon
Est flambé, c’est fini ! — Depuis, j’ai su l’affaire,
Et j’ai récrit trois fois. Mais rien ! Allez, un père