Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/101

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Misérable, si tu me trompes pour me soutirer de l’argent, je te ferai crever sous le bâton !

— Je suis un philosophe, seigneur, et le philosophe ne saurait être âpre au gain, quand surtout celui-ci est représenté par ce que tu viens de me faire entrevoir avec tant de magnanimité.

— Ainsi, « tu es philosophe ? — demanda Pétrone. — Eunice disait : médecin et devin. D’où connais-tu Eunice ?

— Elle est venue me demander un remède, car ma gloire est parvenue jusqu’à elle.

— Un remède pour quoi ?

— Un remède en matière d’amour, seigneur. Elle voulait se guérir d’un amour non partagé.

— Et tu l’as guérie ?

— Mieux que cela, seigneur, je lui ai donné une amulette qui assure l’amour réciproque. À Paphos, dans l’île de Chypre, il existe un temple où se trouve la ceinture de Vénus. Je lui ai donné deux fils de cette ceinture dans une coquille d’amande.

— Et tu t’es fait payer un bon prix ?

— On ne saurait assez payer un amour réciproque. Quant à moi il me manque deux doigts de la main droite, et je voudrais économiser pour m’acheter un scribe qui notât mes pensées et les transmit aux générations futures.

— De quelle école es-tu, divin sage ?

— Je suis un cynique, seigneur, attendu que je porte un manteau troué ; un stoïcien, étant donné que je supporte patiemment la misère, et un péripatéticien, puisque, n’ayant pas de litière, je déambule pédestrement de taverne en taverne, faisant, en route, profiter de mes leçons ceux qui promettent de payer une cruche.

— Et, devant une cruche, tu te transformes en rhéteur ?

— Héraclite a dit : « Tout est fluide ». Tu ne nieras pas, seigneur, que le vin aussi soit fluide.

— Héraclite a également déclaré que le feu est une divinité, laquelle divinité flamboie sur ton nez.

— Mais le divin Diogène d’Apollonie a enseigné que l’air était l’essence même des choses, que plus l’air était chaud, plus était grande la perfection chez les êtres qu’il suscite, et que l’air le plus chaud procrée les âmes des sages. Or, comme il commence à faire frais en automne, ergo le vrai sage doit réchauffer son âme dans le vin… Car, tu ne saurais nier, seigneur, qu’une cruche, fût-ce de piquette de Capoue ou de Télésie, véhicule la chaleur à travers tous les os de notre périssable enveloppe.

— Chilon Chilonidès, où est ta patrie ?

— Sur le Pont-Euxin. Je suis né en Mésembrie.