Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/102

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— Tu es grand, Chilon !

— Et méconnu ! — ajouta le sage avec mélancolie.

Vinicius perdit de nouveau patience. Il avait une lueur d’espoir, et il eût voulu que Chilon commençât immédiatement ses recherches. Ce temps perdu en conversation l’indisposait contre Pétrone.

— Quand commences-tu tes investigations ? — dit-il en se tournant vers le Grec.

— Elles sont déjà commencées. Et d’ici même je les poursuis, tout en répondant à tes bienveillantes questions. Aie foi en moi, noble tribun, et sache que, si tu perdais le lacet de ta chaussure, je saurais le retrouver, ou retrouver celui qui l’aurait ramassé dans la rue.

— On t’a déjà employé à semblables besognes ? — interrogea Pétrone.

Le Grec leva les yeux au ciel :

— La vertu et la sagesse sont si peu en honneur de nos jours que force est bien au philosophe lui-même de se chercher d’autres moyens d’existence.

— Auxquels as-tu recours ?

— Je cherche à savoir tout ce qui se passe et j’offre mes renseignements à ceux qui en ont besoin.

— On te les paie ?

— Ah ! seigneur, il faut que j’achète un scribe. Sinon, ma sagesse périra avec moi.

— Si tu n’as pu jusqu’ici trouver l’argent nécessaire pour un manteau neuf, tes mérites ne doivent pas être bien appréciés.

— Ma modestie m’empêche de les étaler. Mais daigne songer, seigneur, que les bienfaiteurs, foule autrefois, et qui jugeaient aussi agréable de couvrir d’or un homme de mérite que d’avaler une huître de Puteola, n’existent plus de nos jours. Ce ne sont point mes mérites qui sont infimes, mais la gratitude des hommes. Quand s’évade un esclave de prix, qui donc le retrouve, sinon le fils unique de mon père ? Quand apparaissent sur les murs des inscriptions contre la divine Poppée, qui donc signale les coupables ? Qui découvre chez les libraires des vers contre César ? Qui rapporte ce qui se dit dans les maisons des sénateurs et des chevaliers ? Qui porte les lettres qu’on ne veut pas confier à un esclave, qui prête l’oreille aux cancans des barbiers, qui recueille les confidences des taverniers et des marmitons, qui capte la confiance des esclaves, qui sait voir à travers une maison, de l’atrium au jardin ? Qui connaît toutes les rues, les ruelles et les cachettes ? Qui sait ce qui se dit dans les thermes, au cirque, dans les marchés, dans les écoles des lanistes, dans les baraques