Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/105

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généreux comme les mines de Cypre et, pour cette fauvette lygienne, il donnerait la moitié de ses biens. Oui, c’est bien là l’homme que je cherche depuis si longtemps. Cela n’empêche qu’il faille être circonspect avec lui, car sa façon de froncer les sourcils ne vous présage rien de bon. Ah ! les louveteaux commandent aujourd’hui à l’univers !… Ce Pétrone me ferait moins peur. Dieux immortels ! pourquoi le métier d’entremetteur est-il, de nos jours, mieux payé que la vertu ? Ah ! elle a dessiné un poisson sur le sable ? Si je sais ce que cela signifie, que je sois étranglé d’un morceau de cabrillon ! Mais je le saurai ! Et, comme les poissons habitent dans l’eau et que les recherches aquatiques offrent plus de difficultés que sur la terre ferme, ergo, il me paiera ce poisson à part. Encore une bourse comme celle-ci, et, débarrassé de ma besace de mendiant, je pourrai m’acheter un esclave… Et que dirais-tu, Chilon, si, au lieu d’un esclave, je te conseillais de t’acheter une esclave ?… Je te connais ! Je parie bien que tu accepterais !… Si, par exemple, elle avait la beauté d’Eunice, tu rajeunirais aussi auprès d’elle, et même elle serait pour toi une source d’honnêtes profits, sans aucun aléa. J’ai vendu à cette pauvre Eunice deux fils de mon vieux manteau… Elle est sotte ; mais, si Pétrone me la donnait, je ne la refuserais pas… Oui, oui, Chilon fils de Chilon… tu as perdu père et mère !… tu es orphelin ; offre-toi du moins la consolation d’une esclave. Il faut, il est vrai, qu’elle habite quelque part ; Vinicius lui louera donc un logis qui sera pour toi-même un refuge. Il faut qu’elle s’habille ; donc, Vinicius lui paiera des vêtements. Il faut qu’elle mange ; il la nourrira. Ah ! que la vie est dure ! Où sont les temps où, pour une obole, on pouvait avoir plein les deux mains de graisse de porc aux fèves, ou bien un morceau, long comme le bras d’un garçon de douze ans, de boudin de chèvre gonflé de sang !… Mais me voici arrivé chez ce gredin de Sporus ! C’est encore à la taverne qu’on se renseigne le plus facilement. »

Il y entra donc et se fit apporter une cruche de vin sombre. Sur un regard incrédule du patron, il tira de sa bourse une pièce d’or qu’il posa sur la table en disant :

— Sporus, aujourd’hui, depuis l’aurore jusqu’à midi, j’ai travaillé avec Sénèque, et voici ce que mon ami m’a donné pour ma route.

Les yeux ronds de Sporus s’arrondirent davantage et, sans tarder, le vin se trouva devant Chilon. Celui-ci y mouilla le doigt, dessina un poisson sur la table et dit :

— Tu sais ce que cela signifie ?

— Un poisson ? Un poisson, c’est un poisson !

— Et toi, un imbécile, bien que, dans ton vin, tu ajoutes assez d’eau pour qu’on puisse y trouver du poisson. Sache donc que