Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/104

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parmi eux, et, en devenant le plus fervent des adeptes. Je gagnerais leur confiance. Mais toi, seigneur, toi qui, à ma connaissance, as passé une quinzaine de jours dans la maison du noble Aulus, pourrais-tu me fournir là-dessus quelques indices ?

— Je ne le puis, — répondit Vinicius.

— Vous m’avez longuement questionné sur quantité de choses, nobles seigneurs, et j’ai répondu à vos questions. Permettez donc qu’à présent je vous questionne un peu à mon tour. N’as-tu point, digne tribun, remarqué quelque statuette, quelque offrande, ou bien encore des amulettes sur Pomponia ou sur ta divine Lygie ? N’ont-elles pas tracé devant toi des signes qu’elles seules pouvaient comprendre ?

— Des signes ?… Attends donc… Oui ! J’ai vu, certain jour, Lygie dessiner un poisson sur le sable.

— Un poisson ? Aah ! Oh ! Seulement une fois, ou plusieurs ?

— Une fois.

— Et tu es certain, seigneur, qu’elle a dessiné un poisson ? Oh !…

— Oui ! — dit Vinicius gagné par la curiosité. — Tu devines ce que cela signifie ?

— Si je le devine ! — s’écria Chilon.

Et, faisant un salut, comme pour prendre congé, il ajouta :

— Que la Fortune vous comble toujours de ses dons, vous, les plus dignes des seigneurs !

— Fais-toi donner un manteau, — lui dit Pétrone, comme il se retirait.

— Ulysse te remercie pour Thersite, — répondit le Grec.

Après un nouveau salut, il sortit.

— Que penses-tu de ce noble sage ? — demanda Pétrone.

— Je pense qu’il retrouvera Lygie ! — s’écria Vinicius ravi ; — mais je pense aussi que, s’il existait quelque part un royaume des canailles, il en serait le roi.

— C’est incontestable. Il faut que je fasse plus ample connaissance avec ce stoïcien ; en attendant, je vais faire brûler de l’encens dans l’atrium.

Chilon Chilonidès, drapé dans son manteau neuf, faisait, par-dessous les plis, sonner la bourse d’or que lui avait donnée Vinicius et dont il constatait avec délices le poids et le tintement agréable. Il marchait lentement et se retournait, pour s’assurer qu’on ne l’observait pas de la maison de Pétrone. Il dépassa le portique de Livie, et, au coin du Clivus Vibrius, il bifurqua vers Suburre.

« Il me faut aller chez Sporus, — se disait-il, — pour arroser de quelques gouttes de vin l’avènement de la Fortune. Enfin, j’ai trouvé ce que je cherche depuis si longtemps. Il est jeune, fougueux,