Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/117

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succès, en reviendrait à Corbulon. Il a même été question d’offrir le commandement en chef à notre Aulus. Poppée s’y est opposée : évidemment, la vertu de Pomponia n’est pas de son goût.

« Vatinius a promis de nous donner, à Bénévent, d’extraordinaires combats de gladiateurs. Vois un peu où parviennent les savetiers à notre époque, en dépit du proverbe : Ne sutor supra crepidam. Vitellius est un descendant, et Vatinius le propre fils d’un savetier : peut-être a-t-il lui-même tenu l’alêne. L’histrion Aliturus, hier, nous a merveilleusement représenté Œdipe. J’ai demandé à ce juif, si c’était la même chose d’être juif ou d’être chrétien. Il m’a répondu que la religion des juifs était très ancienne, tandis que la secte chrétienne a pris tout récemment naissance en Judée. Au temps de Tibère, on a crucifié là-bas un personnage dont les fidèles, qui le tiennent pour un dieu, se multiplient de jour en jour. Ils paraissent ne vouloir reconnaître aucuns autres dieux, surtout les nôtres. Je ne vois pas en quoi cela peut bien les gêner.

« Tigellin ne dissimule plus son hostilité à mon endroit. Jusqu’ici il n’a pas le dessus, malgré certaine supériorité qu’il a sur moi : il tient plus à la vie et il est plus canaille que moi, ce qui le rapproche d’Ahénobarbe. Tous deux s’entendront tôt ou tard, et alors viendra mon tour. Quand ? je l’ignore, mais cela devant arriver, inutile de s’inquiéter de l’échéance. En attendant, il faut s’amuser. La vie en elle-même ne serait pas désagréable, n’était Barbe-d’Airain. Il fait qu’on est parfois dégoûté de soi-même. Je compare volontiers la recherche de ses faveurs à quelque course du cirque, à un jeu, à une lutte se terminant par la victoire qui flatte l’amour-propre. Pourtant, il me semble être parfois une sorte de Chilon, rien de mieux. Lorsqu’il aura cessé de t’être utile, envoie-le-moi : j’ai pris goût à sa conversation instructive. Présente mes salutations à ta divine chrétienne, ou plutôt prie-la, en mon nom, de n’être pas pour toi un poisson. Instruis-moi de ta santé, de ton amour, sache aimer, apprends-lui à aimer, et adieu. »


M.-C. VINICIUS À PÉTRONE :

« Jusqu’ici, point de Lygie ! N’était l’espoir de la retrouver bientôt, tu ne recevrais pas de réponse, car on n’a guère envie d’écrire quand la vie vous dégoûte. J’ai voulu m’assurer que Chilon ne me trompait pas : la nuit où il est venu chercher l’argent pour Euricius, je me suis enveloppé d’un manteau de soldat, et sans qu’il s’en doutât, je l’ai suivi, ainsi que le jeune serviteur que je lui avais donné. Quand ils atteignirent le lieu indiqué, je les guettais de loin, embusqué derrière un pilier du port, et je pus me convaincre qu’Euricius n’était pas un personnage fictif. En bas, près du fleuve, une cinquantaine d’hommes, éclairés par des torches, déchargeaient des pierres d’un grand radeau et les rangeaient sur la berge. J’ai vu Chilon s’approcher d’eux et engager la conversation avec un vieillard qui bientôt se jeta à ses genoux : les autres les entourèrent, en poussant