Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/118

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des cris de surprise. Sous mes yeux, mon serviteur remit le sac d’argent à Euricius qui se mit à prier, les mains tendues au ciel : à côté de lui quelqu’un s’était agenouillé, assurément son fils. Chilon prononça encore quelques mots qui ne vinrent pas jusqu’à moi et bénit les deux hommes agenouillés, ainsi que les autres, en traçant dans l’air des signes en forme de croix ; ils vénèrent certainement ce signe, car tous s’agenouillèrent. L’envie me prit de descendre jusqu’à eux et de promettre trois sacs de même valeur à qui me livrerait Lygie ; mais je craignis de contrecarrer la besogne de Chilon, et, après un instant de réflexion, je m’éloignai.

« Ceci se passait douze jours au moins après ton départ. Depuis, Chilon est revenu plusieurs fois chez moi. Il me dit avoir acquis une grande influence parmi les chrétiens et prétend que, s’il n’a pas encore retrouvé Lygie, c’est que, dans Rome même, ils sont déjà en quantité innombrable et, par suite, ne se connaissent pas tous et ne peuvent savoir tout ce qui se passe dans la communauté. De plus, ils sont, en général, prudents et discrets ; mais il affirme qu’une fois parvenu auprès des anciens, qu’ils qualifient de prêtres, il saura tirer d’eux tous les secrets. Il a déjà lié connaissance avec plusieurs et tenté de les questionner, mais prudemment, afin de ne pas éveiller leurs soupçons par trop de hâte et compliquer ainsi les choses. Si pénible que soit l’attente et bien que la patience me manque, je comprends qu’il a raison et j’attends.

« Il a appris également que, pour leurs prières communes, ils se réunissent à certains endroits, souvent hors des portes de la ville, dans des maisons désertes et même dans les arenaria. Là ils adorent le Christ, ils chantent et prennent part à des agapes. Ces lieux de réunion sont nombreux. Chilon pense que Lygie s’abstient volontairement de se rendre à ceux que fréquente Pomponia, afin que celle-ci, en cas de jugement et d’interrogatoire, puisse jurer qu’elle ignore la retraite de la jeune fille. Peut-être cette prudence a-t-elle été conseillée par les prêtres. Quand Chilon connaîtra ces endroits, je l’y accompagnerai, et, si les dieux m’accordent d’y apercevoir Lygie, je te jure par Jupiter que cette fois elle ne s’échappera pas de mes mains.

« Je ne cesse de penser à ces lieux de prières. Chilon ne veut pas que je l’y suive. Il a peur, mais moi je ne puis rester à la maison. Je la reconnaîtrais sur-le-champ, fût-elle déguisée ou voilée ; ils se réunissent la nuit, mais je la reconnaîtrais même la nuit ; je reconnaîtrais sa voix et ses gestes. J’irai, déguisé, et j’observerai moi-même tous ceux qui entreront et sortiront. Je pense toujours à elle, et, certes, je la reconnaîtrai. Chilon doit venir demain, et nous partirons. Je me munirai d’armes. Plusieurs de mes esclaves, dépêchés en province, sont revenus sans avoir rien trouvé. Mais, à présent, je suis certain qu’elle est ici, dans la ville, peut-être tout près. J’ai visité nombre de maisons, sous le prétexte de louer. Chez moi, elle se trouvera cent fois mieux : là-bas, grouille toute une fourmilière de miséreux, tandis que je n’épargnerai rien pour elle. Tu