Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/124

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autre. À coup sûr, tous les chrétiens voudraient le voir et écouter son enseignement. Il y aurait de grandes assemblées, auxquelles assisterait Chilon, et, de plus, comme il était facile de se dissimuler dans la foule, il y conduirait Vinicius. Certainement ils y retrouveraient Lygie. Avec Glaucos, tout danger sérieux serait écarté. Quant à se venger, il était certain que les chrétiens le feraient, mais en général ils étaient gens paisibles.

Puis Chilon, avec un certain étonnement, se mit à raconter que jamais il n’avait vu les chrétiens se livrer à la débauche, empoisonner les puits et les fontaines, adorer un âne ou se repaître de chair d’enfant, en un mot, se montrer les ennemis du genre humain. Non, il ne l’avait pas remarqué. Sans doute il trouverait parmi eux ceux qui, pour de l’argent, feraient disparaître Glaucos ; mais ce qu’il savait de leur doctrine ne les incitait pas au meurtre : au contraire, elle leur prescrivait de pardonner les offenses.

Vinicius se souvint alors de ce que Pomponia Græcina lui avait dit chez Acté, et les paroles de Chilon le remplirent de joie. Bien que ses sentiments pour Lygie prissent parfois les apparences de la haine, il éprouvait un soulagement à entendre dire que la doctrine suivie par elle et par Pomponia n’impliquait ni crime, ni débauche. Cependant naissait en lui la perception obscure que cette mystérieuse adoration pour le Christ avait précisément creusé un fossé entre lui et Lygie : et cette doctrine commença à lui inspirer à la fois de la crainte et de la haine.


Chapitre XVII.

Chilon avait un réel intérêt à écarter Glaucos qui, bien qu’âgé, n’était nullement un vieillard décrépit. Dans le récit qu’il avait fait à Vinicius, il y avait une large part de vérité. Il avait jadis connu Glaucos, l’avait trahi, livré à des bandits, séparé de sa famille, dépouillé, lui-même étant l’instigateur et le complice du meurtre. Pourtant, le souvenir de ces événements lui était léger, car il avait abandonné Glaucos agonisant, non dans une auberge, mais en pleine campagne, près de Minturnes. Il avait tout prévu, sauf que Glaucos guérirait de ses blessures et viendrait à Rome. Aussi, en l’apercevant dans la maison de prières, et terrifié de cette découverte, son premier mouvement avait-il été d’abandonner la recherche de Lygie. Mais, d’autre part, Vinicius lui inspirait une terreur plus grande encore. Il comprit qu’il lui fallait choisir entre la peur qu’il avait de Glaucos et la vengeance