Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/125

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du puissant patricien, secondé d’un autre plus puissant encore, Pétrone. Réflexion faite, il se décida. Il songea qu’il valait mieux avoir pour ennemis des petits que des grands et, bien que, d’un naturel pusillanime, il tremblât à la pensée de recourir à des moyens sanguinaires, il jugea indispensable de faire tuer Glaucos. Aussi n’était-il plus question que du choix des hommes qui consentiraient à se charger de cette besogne, et c’était ce projet qu’il avait laissé à entendre à Vinicius.

Habitué des tavernes, où il passait la plupart de ses nuits en compagnie de gens sans gîte, sans honneur et sans foi, il lui était facile de trouver des hommes qui fussent tout prêts pour cette besogne, mais il risquait d’en rencontrer qui, lui sentant de l’argent, commenceraient la besogne par lui, ou bien, après avoir empoché les arrhes, lui soutireraient la somme entière en le menaçant de le livrer aux vigiles. Au reste, il éprouvait depuis quelque temps de l’aversion pour la canaille, pour les figures ignobles et effroyables qui se nichaient dans les bouges de Suburre et du Transtévère. Mesurant tout à son aune et n’ayant approfondi qu’imparfaitement les chrétiens et leur doctrine, il les croyait capables de lui fournir des instruments dociles ; les jugeant aussi plus consciencieux, il avait décidé de s’adresser à eux en leur présentant l’affaire de telle façon qu’ils s’en chargeraient autant par zèle que par appât du lucre.

Dans ce but, il se rendit donc, dès le soir, chez Euricius, qu’il savait lui être dévoué corps et âme et prêt à tout faire pour lui être utile. Mais, prudent par nature, il ne songeait aucunement à lui dévoiler ses véritables intentions, en opposition complète, d’ailleurs, avec la confiance que le vieillard professait pour la vertu et la piété de son bienfaiteur. Ce qu’il lui fallait, c’étaient des hommes prêts à tout, avec lesquels il s’entendrait de façon, que dans leur propre intérêt, ils fussent obligés de garder sur l’affaire un silence éternel.

Après avoir racheté son fils, Euricius avait loué une de ces maigres échoppes qui foisonnaient aux alentours du Circus Maximus et où l’on vendait aux spectateurs des courses des olives, des fèves, du pain sans levain et de l’eau coupée de miel. Chilon le trouva occupé à ranger ses marchandises ; il le salua au nom du Christ et entama l’entretien sur l’affaire qui l’amenait. Puisqu’il leur avait rendu service, à lui et à son fils, il comptait sur leur reconnaissance. Il avait besoin de deux ou trois hommes solides et courageux pour détourner un danger menaçant, non seulement lui, mais tous les chrétiens. Il était pauvre, c’est vrai, car il avait donné à Euricius presque tout ce qu’il possédait ; néanmoins il payerait ce service, pourvu que ces hommes eussent confiance en lui et remplissent fidèlement ses ordres.