Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/163

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de ses bras le corps de la jeune fille ; tout se mit à tourner devant lui et la lumière du jour s’éteignit à ses yeux.

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Chilon, embusqué derrière l’angle du mur, attendait les événements ; chez lui, il y avait lutte entre la curiosité et la peur. Il songeait que si l’enlèvement de Lygie réussissait, il ferait bon se trouver auprès de Vinicius. Ursus ne lui inspirait déjà plus de terreur, puisque Croton le tuerait à coup sûr. En même temps, il comptait que si un rassemblement se faisait dans les rues encore désertes, si des chrétiens osaient s’opposer à Vinicius, il leur adresserait la parole, se ferait passer pour un représentant de l’autorité, mandataire de la volonté de César et, en cas de nécessité, il réclamerait, en faveur du jeune patricien, l’aide des vigiles contre la racaille de la rue : de la sorte, il se gagnerait de nouvelles faveurs.

Au fond, il tenait pour insensé l’acte de Vinicius ; mais étant donnée la force extraordinaire de Croton, il admettait que le succès fût possible. Si un danger survenait, le tribun se chargerait d’emporter la jeune fille et Croton lui fraierait le chemin. N’empêche que le temps lui semblait long ; il s’inquiétait du silence qui régnait dans ce vestibule qu’il observait à bonne distance.

« S’ils ne trouvent pas sa cachette et s’ils font du bruit, elle s’envolera. »

Cette alternative ne lui était pourtant pas désagréable, car, en ce cas, il redeviendrait nécessaire à Vinicius et lui soutirerait encore force sesterces.

« Quoi qu’ils fassent, — se disait-il, — c’est pour moi qu’ils travaillent à leur insu… Dieux ! dieux ! permettez-moi seulement… »

Il se tut. Quelque chose s’était penché hors du vestibule. Il se colla contre le mur et, retenant son souffle, il regarda.

Il ne se trompait pas : du corridor, une tête, émergeant à moitié, avait exploré les alentours.

« C’est Vinicius ou Croton, — pensa Chilon ; — mais, s’ils tiennent la jeune fille, pourquoi ne crie-t-elle pas ? Et qu’ont-ils besoin d’inspecter la rue ? Ils rencontreront quand même du monde, d’ici aux Carines, car, avant qu’ils y soient, la ville sera éveillée. Qu’est-ce donc ? Par tous les dieux immortels !… »

Soudain, ses cheveux clairsemés se dressèrent.

Sur la porte, Ursus venait d’apparaître, les épaules chargées du corps inerte de Croton ; après avoir encore une fois observé de tous côtés, il prit sa course vers le fleuve.

Chilon se plaqua comme une truellée de plâtre contre la muraille.