Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/166

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un tel forfait attirât sur eux une persécution générale. Il était plutôt à croire qu’ils l’avaient retenu de force, afin de donner à Lygie le temps de se cacher ailleurs.

Cette pensée rendit le courage à Chilon.

« Si le dragon lygien ne l’a pas réduit en miettes dès le premier emportement, il vit, et, s’il vit, il témoignera lui-même que je ne l’ai pas trahi, et alors, non seulement je n’ai rien à craindre, mais (ô Hermès ! tu peux de nouveau compter sur deux génisses)… un champ nouveau s’ouvre devant moi. Je puis avertir un des affranchis de l’endroit où est son maître ; et, qu’il aille ou non trouver le préfet, c’est son affaire, pourvu que je n’y aille pas moi-même. Mais, en allant chez Pétrone, je puis y récolter une récompense… J’ai cherché Lygie, à présent je vais chercher Vinicius, puis je chercherai de nouveau Lygie… Mais, avant tout, il me faut savoir s’il est vivant ou mort. »

Il songea bien à aller de nuit chez le boulanger Demas pour se renseigner auprès d’Ursus. Mais il abandonna vite cette idée. Il préférait ne rien avoir à faire avec Ursus. Si Ursus n’avait pas tué Glaucos, c’est que quelqu’un de ses supérieurs chrétiens, auquel il aurait avoué son projet, lui avait démontré que c’était une affaire louche, machinée par quelque traître. De plus, rien que de penser à Ursus, Chilon sentait un frisson lui courir par tous les membres. Il se proposa d’envoyer le soir Euricius aux nouvelles dans la maison même où les événements s’étaient passés. En attendant, il avait besoin de se restaurer, de prendre un bain et surtout du repos. Cette nuit sans sommeil, le voyage à l’Ostrianum et sa fuite du Transtévère l’avaient complètement éreinté.

Somme toute, une chose le réjouissait, c’est qu’il avait sur lui les deux bourses : celle que Vinicius lui avait donnée avant leur départ, et une autre qu’il lui avait lancée en revenant du cimetière. Étant donnée cette circonstance favorable et aussi toutes les émotions qu’il avait subies, il résolut de manger plus copieusement que de coutume et surtout de boire de meilleur vin.

Aussi, dès que les cabarets s’ouvrirent, il réalisa si consciencieusement son projet qu’il en oublia son bain.

Il avait principalement besoin de dormir et le manque de sommeil l’avait tant affaibli qu’il titubait en regagnant son logis de Suburre, où l’attendait l’esclave achetée avec l’argent de Vinicius.

Aussitôt entré dans son cubicule, noir comme le terrier d’un renard, il se jeta sur sa couche et s’endormit sur-le-champ. Il ne se réveilla que le soir, ou, plus exactement, il fut réveillé par son esclave qui l’engageait à se lever, quelqu’un le demandant pour une affaire urgente.