Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/180

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Glaucos se cacha assez longtemps le visage dans ses mains ; il dit enfin :

— Céphase, que Dieu te pardonne tes torts envers moi, comme je te les pardonne au nom du Christ !

Et Ursus, ayant lâché les bras du Grec, ajouta :

— Que le Sauveur me pardonne comme je te pardonne !

Chilon s’était affaissé. Appuyé sur ses mains, il tournait la tête comme un animal pris aux rets et regardait, affolé, d’où lui viendrait la mort. Il n’en croyait encore ni ses yeux ni ses oreilles et ne pouvait espérer qu’on lui fît grâce.

Peu à peu il revint à lui ; ses lèvres exsangues tremblaient encore d’épouvante. L’apôtre lui dit :

— Va-t’en en paix !

Chilon se leva, mais sans pouvoir parler. Instinctivement, il se rapprocha du lit de Vinicius, comme pour implorer la protection du tribun ; il n’avait pas eu le temps de réfléchir que celui-là l’avait condamné, bien qu’il eût été en quelque sorte son complice et se fût servi de lui, alors que ceux contre qui il avait agi lui pardonnaient. Son regard, à ce moment, n’exprimait que l’étonnement et la défiance. Tout en comprenant enfin qu’on lui avait fait grâce, il avait hâte de se tirer sain et sauf d’entre les mains de ces gens incompréhensibles, dont la bonté l’effrayait presque autant que leur cruauté l’eût terrifié. Il avait peur d’événements imprévus qui pourraient surgir s’il restait là plus longtemps.

Debout devant Vinicius, il lui dit d’une voix entrecoupée :

— Donne la lettre ! seigneur, donne la lettre !

Il s’empara de la tablette que lui tendait Vinicius, salua les chrétiens, puis le malade, et, courbé, se faufila le long de la muraille jusqu’à la porte, d’où il s’élança dehors.

Mais, dans l’obscurité du petit jardin, de nouveau ses cheveux se hérissèrent d’effroi : il était convaincu qu’Ursus allait fondre sur lui et le tuer à la faveur des ténèbres. Il eût volontiers pris la fuite, mais ses jambes refusaient de lui obéir ; bientôt, elles lui manquèrent complètement : en effet, Ursus l’avait rejoint.

Chilon tomba la face contre terre et se mit à gémir :

— Urbain… au nom du Christ…

Mais Ursus répondit :

— Ne crains rien. L’Apôtre m’a ordonné de t’accompagner jusqu’à la porte, afin que tu ne t’égares dans l’obscurité. Si les forces te manquent, je te reconduirai jusque chez toi.

Chilon redressa la tête :

— Que dis-tu ? Quoi ?… Tu ne veux pas me tuer ?

— Non, je ne te tuerai pas, et si je t’ai secoué trop violemment, si j’ai endommagé tes os, pardonne-moi.