Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/181

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Aide-moi à me relever, — fit le Grec. — Tu ne me tueras pas, n’est-ce pas ? Reconduis-moi jusqu’à la rue ; après cela, j’irai seul.

Ursus le releva comme une plume, puis le guida par un sombre couloir jusqu’à la première cour et au vestibule ouvert sur la rue. Dans le corridor, Chilon se répétait : « C’en est fini de moi », et il ne se rassura qu’une fois dehors. Il dit alors :

— Maintenant, j’irai seul.

— La paix soit avec toi !

— Et avec toi ! et avec toi !… Laisse-moi respirer.

En effet, dès qu’il fut délivré d’Ursus, il aspira l’air à pleins poumons. Il se tâtait les hanches et les côtes comme pour se convaincre qu’il était bien vivant ; puis il joua des jambes.

Mais, non loin de là, il s’arrêta pour se demander :

« Mais comment se fait-il qu’ils ne m’aient pas tué ? »

Et, malgré ses entretiens avec Euricius sur la doctrine chrétienne, malgré sa conversation avec Ursus au bord du fleuve, malgré tout ce qu’il avait entendu à l’Ostrianum, il ne put trouver de réponse à cette question.


Chapitre XXV.

Vinicius ne pouvait, pas plus que Chilon, se rendre compte de ce qui s’était passé et, au fond de son âme, il en était aussi stupéfait. Que ces gens eussent agi avec lui comme ils l’avaient fait et qu’au lieu de tirer vengeance de son agression, ils eussent pansé ses plaies, il l’attribuait en partie à leur doctrine, beaucoup à Lygie et un peu à l’importance de sa personne. Mais leur manière de faire vis-à-vis de Chilon dépassait complètement sa conception de ce que pouvait pardonner un homme. Et lui aussi se demandait : Pourquoi n’ont-ils pas tué le Grec ? Ils pouvaient pourtant le faire impunément. Ursus eût enfoui son corps dans le jardin, ou l’eût jeté nuitamment dans le Tibre qui, à cette époque de crimes nocturnes imputables à César lui-même, rejetait si souvent des cadavres humains que nul ne s’inquiétait d’où ils sortaient.

En outre, selon Vinicius, non seulement les chrétiens auraient pu, mais encore ils auraient dû tuer Chilon. À vrai dire, le monde auquel appartenait le jeune patricien n’était pas tout à fait inaccessible à la pitié ; les Athéniens avaient même consacré à celle-ci un autel et avaient longtemps résisté à l’introduction chez eux des combats de gladiateurs. On avait vu, à Rome, octroyer la