Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/184

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est une prêtresse, et Lui la vengera… » Vinicius ignorait qui était ce Lui, mais il comprenait qu’il allait commettre un sacrilège, et il se sentait plein d’épouvante. Comme il atteignait la balustrade qui entourait le sommet de la tour, surgissait à côté de Lygie l’Apôtre à la barbe argentée, qui disait : « Ne porte pas la main sur elle, car elle m’appartient. » Et l’Apôtre entraînait Lygie sur des rayons de lune, comme sur une voie menant au ciel, tandis que Vinicius, les bras tendus vers eux, les suppliait de l’emmener.

Il se réveilla, retrouva ses esprits et se mit à regarder autour de lui. Sur son haut trépied, le foyer brûlait plus faiblement, mais donnait cependant encore assez de lumière. Alentour étaient assis les chrétiens qui se chauffaient, car la nuit était fraîche et dans la chambre il faisait assez froid. Vinicius voyait la buée s’échapper de leur bouche. Au milieu, se tenait l’Apôtre ; à ses genoux, sur un tabouret bas, Lygie ; plus loin, Glaucos, Crispus et Myriam ; aux deux extrémités, d’une part Ursus, de l’autre Nazaire, le fils de Myriam, jeune garçon au visage gracile et aux longs cheveux noirs qui lui retombaient sur les épaules.

Lygie écoutait, les yeux levés vers l’Apôtre ; toutes les têtes étaient tournées vers lui. Il parlait à voix basse. Vinicius se prit à l’observer avec une vague crainte superstitieuse, analogue à celle qu’il avait ressentie dans son délire. L’idée lui vint que dans sa fièvre il avait vu la vérité et que ce vénérable étranger, venu de rives lointaines, lui enlevait réellement Lygie et l’entraînait par des chemins inconnus. Il était convaincu que le vieillard parlait de lui, conseillait peut-être de le séparer d’elle, tant il lui semblait inadmissible qu’on parlât d’autre chose ; rassemblant donc toute son attention, il écouta ce que disait Pierre.

Mais il s’était trompé. L’Apôtre parlait encore du Christ.

« Ils ne vivent que par Lui ! » — songea Vinicius.

Le vieillard racontait comment on s’était emparé du Christ :

— Une troupe de soldats vint avec les serviteurs des prêtres pour Le chercher. Quand le Sauveur leur demanda qui ils cherchaient, ils répondirent : « Jésus de Nazareth ». Mais lorsqu’il leur dit : « C’est moi ! » ils tombèrent la face contre terre, sans oser porter la main sur Lui. Et seulement, quand ils L’eurent questionné une seconde fois, ils Le saisirent.

Ici, l’Apôtre s’interrompit, étendit ses mains vers le feu et reprit :

« La nuit était fraîche comme celle-ci, mais mon cœur bouillonnait. Je tirai mon glaive pour Le défendre et je coupai l’oreille à l’esclave de l’archiprêtre. Je L’aurais mieux défendu que ma propre vie, s’il ne m’avait dit : « Remets ton glaive dans le fourreau :