Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/186

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Mais Lygie le rassurait, et sur un rivage lointain vers lequel ils se dirigeaient, elle lui montrait une lumière.

Alors, le rêve de Vinicius se confondit de nouveau avec ce qu’avait dit l’Apôtre à l’Ostrianum sur l’apparition du Christ au bord du lac. À présent, dans cette lumière de la rive, il voyait se dessiner une figure vers laquelle Pierre orientait la barque. À mesure qu’ils approchaient, la tempête s’apaisait, les ondes devenaient plus calmes et la lumière plus vive. La foule chantait un hymne très doux, l’atmosphère s’imprégnait de nard, l’eau s’irisait de toutes les nuances de l’arc-en-ciel, comme si, du fond, eût monté le reflet des lis et des roses… Enfin, les flancs de la barque touchèrent légèrement le sable. Lygie prit alors Vinicius par la main, en lui disant : « Viens, je te conduirai », et elle le mena vers la lumière.

……………………………………………

En se réveillant, Vinicius ne recouvra pas immédiatement le sentiment de la réalité. Un certain temps, il se crut toujours près du lac, entouré de la multitude, parmi laquelle, sans savoir pourquoi, il se mit à chercher Pétrone, étonné de ne l’y point rencontrer. Une lueur vive, venant de la cheminée, près de laquelle il n’y avait plus personne, acheva de le réveiller. Les tisons d’oliviers se consumaient paresseusement sous leur cendre rose, mais les bûchettes de pin, dont on venait sans aucun doute de ranimer le brasier, pétillaient en lançant des flammes à la clarté desquelles Vinicius aperçut Lygie assise non loin de son lit.

À cette vue, il se sentit ému jusqu’au fond de l’âme. Il savait qu’elle avait passé la nuit précédente à l’Ostrianum ; pendant toute la journée, elle s’était employée à le soigner ; maintenant encore, tandis que les autres reposaient, elle veillait seule à son chevet. On voyait bien qu’elle était lasse. Immobile sur son siège, elle fermait les yeux. Vinicius ne savait si elle dormait, ou si elle s’absorbait dans ses pensées. Il contemplait son profil, ses cils abaissés, ses mains croisées sur ses genoux, et dans le cerveau du païen commençait à se faire jour une conception nouvelle ; à côté de la beauté grecque ou romaine, nue, vaniteuse et sûre d’elle-même, il y avait au monde une autre beauté, toute nouvelle, étonnamment chaste, et dans laquelle résidait une âme nouvelle aussi.

Il ne pouvait se décider à la qualifier de beauté chrétienne, mais en pensant à Lygie, il ne pouvait plus séparer la séduction de cette beauté de la doctrine nouvelle. Il comprenait que si les autres étaient allés se reposer, tandis que Lygie veillait seule sur lui, c’était parce que sa doctrine le lui ordonnait : mais cette pensée, tout en le pénétrant d’admiration pour la doctrine même,