Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/192

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— Acté nous informe, nous autres chrétiens, de ce qui se passe au Palatin. N’as-tu donc pas appris que, peu après ma fuite, avant de partir pour Naples, César a mandé Aulus et Pomponia et les a menacés de sa colère, sous prétexte qu’ils m’auraient aidée à fuir ? Aulus put heureusement lui répondre : « Tu sais, seigneur, que jamais mensonge n’a passé par mes lèvres ; je te jure que nous ne l’avons pas aidée à fuir et que nous ne savons pas plus que toi ce qu’elle est devenue. » César le crut, puis il oublia tout : et moi, d’après les conseils de nos anciens, je n’ai jamais écrit à ma mère, afin qu’elle puisse toujours jurer qu’elle ne sait rien de ce qui me concerne, car il nous est défendu de mentir, même si notre vie est en jeu. Telle est notre doctrine, à laquelle nous voulons gagner tous les cœurs. Je n’ai pas revu Pomponia depuis que j’ai quitté sa maison. De temps en temps seulement, par quelques échos lointains, elle apprend que je suis vivante et en sûreté.

À ces mots, le chagrin lui étreignit le cœur et ses yeux se remplirent de larmes ; mais elle se calma bientôt et reprit :

— Je sais bien que Pomponia me regrette beaucoup, mais il est pour nous des consolations que ne connaissent pas les autres.

— Oui, — repartit Vinicius, — votre consolation, c’est le Christ ; moi, je ne puis vous comprendre.

— Regarde-nous. Pour nous il n’existe pas de séparations ; il n’est ni douleurs, ni souffrances, et s’il en survient, elles se changent en joies. La mort elle-même, qui est pour vous la fin de la vie, en est pour nous le commencement : c’est l’échange d’un bonheur médiocre et troublé contre un bonheur entier, calme et éternel. Songe quelle doit être, cette doctrine qui nous enseigne d’être bons, même pour nos ennemis, et qui nous interdit le mensonge, purifie notre âme de la haine, et nous promet après la mort une félicité infinie.

— J’ai entendu tout cela à l’Ostrianum ; j’ai vu comment vous avez agi envers moi, envers Chilon ; quand j’y songe, il me semble rêver encore et je ne sais si j’en dois croire mes yeux et mes oreilles. Mais réponds-moi à une autre question : es-tu heureuse ?

— Oui, — déclara Lygie, — qui a foi dans le Christ ne saurait être malheureux !

Vinicius la dévisagea comme si ces dernières paroles dépassaient les bornes de l’entendement humain.

— Et tu ne voudrais pas retourner chez Pomponia ?

— Je le voudrais de toute mon âme : et j’y retournerai, si telle est la volonté de Dieu.

— Alors, je te dis : retourne chez elle ; et, je te le jure sur mes dieux lares, je ne porterai pas la main sur toi.