Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/191

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— Il faut que j’aille chercher Myriam ou Nazaire, — fit-il enfin.

La tête pâle de Lygie s’encadra dans la portière :

— Je viens à ton aide, — dit-elle.

Et peu après elle sortit du cubicule, où elle se disposait certainement à dormir, car ses cheveux étaient dénoués et elle n’avait pour tout vêtement qu’une de ces étroites tuniques nommées capitium. Vinicius, dès qu’il l’aperçut, sentit son cœur battre plus vite et lui reprocha de n’avoir pas encore songé à se reposer ; mais elle répondit gaiement :

— Justement, j’allais dormir ; auparavant je vais remplacer Ursus.

Elle prit le gobelet, s’assit au bord du lit et commença à faire manger Vinicius, à la fois confus et heureux. Comme elle se penchait vers lui, il sentit la tiédeur de son corps et les flots de sa chevelure vinrent lui frôler la poitrine ; alors, il pâlit d’émoi ; mais, en dépit de son trouble et de la violence de sa passion, il comprenait que, sur terre, nulle tête ne lui était aussi chère et que, comparé à elle, le monde entier n’était rien.

Naguère, il convoitait Lygie ; à présent il l’aimait de tout son cœur. Naguère, dans sa façon de vivre et dans ses sentiments, il se montrait, ainsi que tous ses contemporains, égoïste inconscient, ne s’intéressant qu’à soi-même : aujourd’hui, il s’intéressait aussi à elle.

Bientôt, il refusa de manger, et malgré sa joie extrême de la contempler et de la sentir près de lui, il dit :

— C’est assez, va te reposer, ma divine.

— Ne m’appelle pas ainsi, — répondit-elle ; — il ne convient pas que j’entende de telles paroles.

Cependant elle lui sourit, puis l’assura qu’elle n’avait plus sommeil, qu’elle n’éprouvait plus de fatigue et n’irait prendre du repos qu’après l’arrivée de Glaucos. Il écoutait ces paroles comme une musique, le cœur débordant d’émotion, de gratitude, de ravissement toujours plus intenses, et il se creusait la tête pour trouver le moyen de lui prouver sa reconnaissance.

— Lygie, — dit-il après un court silence, — naguère, je ne te connaissais pas. J’ai pris, je le sais à présent, un mauvais chemin pour arriver à toi. Je te dis donc : Retourne chez Pomponia Græcina et sois certaine qu’à l’avenir personne ne portera la main sur toi.

Une tristesse subite passa sur le visage de Lygie :

— Je serais heureuse de la voir, même de loin, — répondit-elle, — mais je ne puis plus retourner chez elle.

— Pourquoi ? — demanda Vinicius étonné.