il n’alla voir que lorsque celui-ci l’envoya chercher dans sa propre litière.
Vinicius, joyeusement accueilli, ne répondit d’abord qu’à contrecœur aux questions de son ami. Mais à la fin, ses sentiments et ses pensées longtemps refoulés débordèrent en un flux de paroles, il instruisit Pétrone de toutes les recherches qu’il avait faites pour retrouver Lygie, de son séjour parmi les chrétiens, de tout ce qu’il y avait vu et entendu, de tout ce qui avait tourmenté son esprit et son cœur, et il finit par se lamenter d’être plongé dans un chaos où il avait perdu, avec la tranquillité, le don de discerner les choses et de les apprécier. Rien ne l’attirait, il ne prenait goût à rien, ne savait ni à quoi se décider, ni que faire. Il était prêt tout ensemble à honorer et à persécuter le Christ ; il comprenait l’élévation de sa doctrine et ressentait en même temps pour Lui une répulsion invincible. Il se rendait compte que, si même il arrivait à posséder Lygie, ce ne serait pas tout entière, car il lui faudrait la partager avec le Christ. En somme, il vivait comme s’il n’eût pas vécu : sans espoir, sans lendemain, sans foi dans le bonheur. Il se sentait entouré de ténèbres, il cherchait à tâtons et vainement une issue.
Durant le récit de Vinicius, Pétrone examinait ses traits altérés, ses mains tâtonnantes étendues comme pour chercher réellement un chemin dans l’obscurité, et il réfléchissait. Soudain, il se leva, s’approcha de Vinicius et lui rebroussant les cheveux derrière l’oreille :
— Sais-tu, — lui demanda-t-il, — que tu as quelques cheveux gris aux tempes ?
— C’est possible, — repartit Vinicius ; — je ne serais même pas étonné de les voir bientôt blanchir tous.
Un silence se fit. Pétrone, en homme intelligent, avait médité quelquefois sur l’âme humaine et sur la vie. Dans leur monde à tous deux, cette vie pouvait, en général, sembler extérieurement heureuse ou malheureuse ; intérieurement elle était toujours calme. Ainsi que la foudre ou un tremblement de terre renversaient un temple, de même le malheur pouvait bouleverser une existence. Mais, considérée en soi, cette existence ne se composait que de lignes pures, harmonieuses et exemptes d’irrégularités. Et voici que les paroles de Vinicius reflétaient tout autre chose, voici que Pétrone se trouvait pour la première fois en présence d’une série d’énigmes intellectuelles que jusqu’ici personne n’avait cherché à résoudre. Il était assez sagace pour en apercevoir la portée, mais, en dépit de toute sa finesse, il ne trouvait aucune explication à ses propres doutes. Et seulement après un long silence, il dit :
— Il ne peut y avoir là que des sortilèges.